mardi 5 octobre 2010

Thérèse d'Avila Vie 30, extraits



Thérèse d'Avila Vie, Chapitre 30, extraits
Avec l'Ordre du Carmel qui se prépare au V° centenaire de la naissance de Sainte Thérèse de Jésus (d'Avila), nous vous proposons une découverte pas à pas de son autobiographie.

Voyant que je ne pouvais rien ou presque rien contre ces grands transports d'amour, ils devinrent pour moi un sujet de crainte. Le plaisir et la peine qu'ils me faisaient simultanément éprouver étaient pour moi un mystère. Je savais bien que la souffrance du corps est compatible avec la joie de l'esprit; mais une peine spirituelle si excessive unie à un bonheur si ravissant, voilà où ma raison se perdait. Cependant je continuais à faire effort pour résister, mais en vain, et souvent je me sentais épuisée... Je voyais clairement que personne ne me comprenait. Je n'osais néanmoins le dire qu'à mon confesseur; en parler à d'autres eût été déclarer que je n'avais pas d'humilité.

Il plut à Notre Seigneur de remédier en partie à mes peines, et même de les faire cesser pendant quelque temps, en conduisant dans cette ville le béni frère Pierre d'Alcantara… Cette dame veuve dont j'ai parlé, si digne servante de Dieu et mon intime amie (Guiomar de Ulloa), ayant appris l'arrivée de ce grand personnage, désira que je le visse…
Ce fut dans sa maison, et dans quelques églises, que j’eus de nombreux entretiens avec ce religieux…
Ce saint homme m'éclaira sur tout, et me donna une parfaite intelligence de ces visions; il me dit de ne plus craindre, mais de louer Dieu, m'assurant qu'il en était l'auteur
Ce saint homme fut pénétré de la plus vive compassion pour moi. Il me dit qu'une des plus grandes peines dans cet exil était celle que j'avais endurée, c'est-à-dire cette contradiction des gens de bien; il ajouta qu'il me restait encore beaucoup à souffrir, parce que j'avais besoin d'une continuelle assistance, et qu'il n'y avait personne dans cette ville qui me comprît Il me promit de parler à mon confesseur, et à un de ceux qui me causaient le plus de peine…Ce grand serviteur de Dieu accomplit promesse; il parla à tous les deux, et leur montra par de puissantes raisons qu'ils devaient se rassurer, et ne plus m’inquiéter à l'avenir...

Néanmoins, comme Notre Seigneur me conduisait par la voie de la crainte, je ne pouvais ouvrir mon âme ni à une sécurité parfaite quand on me rassurait, ni à une crainte sérieuse quand on me disait que j'étais trompée. Ainsi, que l'on m'inspirât de la crainte ou de la confiance, nul ne pouvait obtenir de moi une foi plus grande que celle que Notre Seigneur mettait dans mon âme...
Il m'arrivait quelquefois, comme il m'arrive encore, mais plus rarement, d'éprouver simultanément de si grandes peines spirituelles et de si accablantes douleurs corporelles, que je ne savais que devenir. D'autres fois, quoique ces souffrances du corps fussent plus cruelles, mon esprit ne souffrant point, je leur faisais face avec beaucoup d'allégresse; mais lorsque j'endurais les deux à la fois, j'éprouvais un véritable martyre.
Toutes les grâces que le Seigneur m'avait faites s'effaçaient alors de ma mémoire; il ne m'en restait, comme d'un songe, qu'un vague souvenir qui ne servait qu'à me tourmenter. Mon esprit était tellement obscurci, que je roulais de doute en doute, de crainte en crainte; il me semblait que je n'avais pas su comprendre ce qui se passait en moi; peut-être étais-je victime d'une illusion; il devait me suffire d'être trompée, sans tromper encore des gens de bien; enfin, je me trouvais si mauvaise, que je m'imaginais être cause par mes péchés de tous les maux et de toutes les hérésies qui désolaient le monde. Ce n'était là qu'une fausse humilité, inventée par l'ennemi pour me troubler et essayer de me jeter dans le désespoir…
On reconnaît à des marques évidentes que cette fausse humilité est l'ouvrage du démon. Elle commence par l'inquiétude et le trouble; puis, tout le temps qu'elle dure, ce n'est que bouleversement intérieur, obscurcissement et affliction de l'esprit, sécheresse, dégoût de l'oraison et de toute bonne œuvre.
Enfin, l'âme se sent comme étouffée, et le corps comme lié, de telle sorte qu'ils sont incapables d'agir.


Quand l'humilité vient de Dieu, l'âme reconnaît, il est vrai, sa misère; elle en gémit, elle se représente vivement sa propre malice, et voit que ces sentiments qu'elle a d'elle-même ne sont que la pure vérité: mais cette vue ne lui cause ni trouble, ni inquiétude, ni ténèbres, ni sécheresse; elle répand au contraire en elle la joie, la paix, la douceur, la lumière…En même temps qu'elle éprouve de la douleur d'avoir offensé Dieu, elle se sent dilatée par le sentiment de ses miséricordes; et si la lumière qu'elle reçoit la confond, elle la porte en même temps à bénir Dieu de l'avoir si longtemps soufferte.

Dans cet état, on ne perd ni la foi ni les autres vertus, puisqu'on croit ce qu'enseigne l'Église; mais la foi est comme amortie et endormie, et les actes qu'on en produit semblent ne partir que du bout des lèvres.
Cherche-t-elle alors dans la prière ou dans la solitude quelque adoucissement, elle n'y rencontre que des angoisses plus cruelles. Elle éprouve au dedans d'elle-même un tourment intolérable, dont la nature lui est inconnue…L'âme sent en soi un feu qui la brûle, mais elle n'en connaît ni l'origine, ni l'auteur, et ne sait ni comment le fuir, ni comment l'éteindre. Veut-elle recourir à la lecture pour se soulager, elle en retire aussi peu de secours que si elle ne savait pas lire.
S'entretenir avec quelqu'un est pire encore, parce que le démon nous rend si colères et de si mauvaise humeur, qu'il n'y a personne qui ne nous devienne insupportable, sans qu'il soit possible de faire autrement. Nous ne croyons pas peu faire en n'éclatant pas… Aller trouver son confesseur n'apporte pas plus de consolation…
En certains jours, une vision, ou, comme je l'ai dit ailleurs (cf. chap. 25), une seule parole de Notre Seigneur telle que celle-ci: « Ne t'afflige point; n'aie point de crainte », faisait naître en mon âme une sérénité parfaite, comme si aucun trouble n'eût précédé… L'âme se purifie dans ces peines comme l'or dans le creuset; elle en sort plus spirituelle, et plus capable de contempler le Seigneur au dedans d'elle-même. Elle trouve alors légères ces peines qui auparavant lui semblaient insupportables, et elle les souhaite de nouveau si Dieu doit en être plus glorifié

Il est encore des jours où, même dans la solitude, je ne puis avoir aucune pensée fixe et arrêtée de Dieu ni d'aucun bien, ni faire oraison; mais je sens que j’en discerne la cause. Je vois clairement que tout le mal vient de l'entendement et de l'imagination; car pour la volonté, elle est droite, me semble-t-il, et il n'est point de bonne œuvre qu'elle ne soit disposée à embrasser. Mais telles sont les divagations de l'esprit, qu'il ressemble à un fou furieux que personne ne peut enchaîner; et il n'est pas en mon pouvoir de le fixer l'espace même d'un Credo... Je comprends alors bien mieux la grandeur de la grâce que Dieu m'accorde, lorsque, tenant ce fou enchaîné, il me met dans une parfaite contemplation; et je pense aussi à ce que diraient de moi ceux qui me croient bonne, s'ils me voyaient dans un tel égarement d'esprit. Je suis émue de la plus vive compassion en voyant l'âme en si mauvaise compagnie, et je désire si ardemment la voir libre, que je ne puis quelquefois m'empêcher de dire à Notre Seigneur: Quand donc mon âme se verra-t-elle enfin occupée tout entière à célébrer vos louanges? Quand toutes ses puissances jouiront-elles de vous? Ne permettez pas, Seigneur, qu'elle soit plus longtemps divisée, et comme déchirée en lambeaux!

Que de fois, à ce sujet, me suis-je souvenue de cette eau vive dont Notre Seigneur parla à la Samaritaine! Que j'aime cet endroit de l'Évangile! Dès ma plus tendre enfance, sans comprendre comme maintenant le prix de ce que je demandais, je suppliais très souvent le divin Maître de me donner de cette eau; et partout où j'étais, j'avais toujours un tableau qui me représentait Notre Seigneur auprès du puits de Jacob, avec ces paroles écrites au bas: Seigneur, donnez-moi de cette eau (Jn 4, 15).

On peut aussi comparer cet amour divin qui transporte, à un grand feu dont l'activité réclame sans cesse une matière nouvelle. L'âme voudrait, à quelque prix que ce fût, mettre continuellement du bois dans ce feu pour l'empêcher de s'éteindre. Pour moi, quand je n'aurais que de petites pailles à y jeter, je serais contente; très souvent, je n'ai point autre chose. Quelquefois j'en ris; mais d'autres fois, je m'en afflige beaucoup. Je me sens intérieurement pressée de servir Dieu en quelque chose, et, ne pouvant faire davantage, je m'occupe à orner de verdure et de fleurs quelques images, à balayer, à parer un oratoire, ou à d'autres petits travaux si bas, que j'en demeure ensuite toute confuse.

Vous pouvez lire le texte intégral de ce chapitre 30 de sa Vie en cliquant ici
Vous pouvez aussi poster les remarques, réflexions, prières etc... que ce texte suscite en vous, en cliquant sur "commentaires" ci-dessous

Aucun commentaire: