lundi 26 mars 2012

Thérèse d'Avila, Fondations 3, extraits

Thérèse d'Avila

Livre des Fondations, 3
(traduction Marcelle Auclair), extraits

Avec l'Ordre du Carmel qui se prépare au V° centenaire de la naissance de Sainte Thérèse de Jésus (d'Avila), nous vous proposons une découverte du Livre des Fondations.
CHAPITRE -III

Des moyens par lesquels on entreprit de fonder le monastère de Saint-Joseph à Medina del Campo.


1 J'étais donc fort soucieuse, quand je songeai à m'appuyer sur les Pères de la Compagnie de Jésus, bien vus à Medina… J'écrivis à leur Recteur … il se nomme Baltasar Alvarez, et il est actuellement Provincial. Lui et les siens me promirent de faire tout leur possible et ils firent en effet beaucoup pour obtenir le consentement de la ville et celui du prélat; c'est toujours difficile lorsqu'il s'agit d'un monastère sans revenus...
2 Celui qui s'en occupa fut un ecclésiastique, grand serviteur de Dieu, fort détaché du monde, et fervent dans l'oraison. ... il se nomme Julien d'Avila. J'avais donc l'autorisation de fonder des monastères, mais point de maison, ni un liard pour en acheter une….Le Seigneur y pourvut: il fit qu'une vertueuse fille qui ne trouvait pas de place à Saint Joseph apprit que je fondais un autre couvent; elle vint me prier de l'y prendre. Elle avait quelques sous, fort peu, pas assez pour acheter une maison, mais de quoi en louer une …Sans autre appui, nous partîmes d'Avila, deux religieuses de Saint Joseph et moi, quatre religieuses de l'Incarnation ...
3 Lorsque cela se sut dans la ville, il y eut force médisances; les uns me tenaient pour folle; les autres attendaient de voir comment tournerait cette extravagance

4 Nous arrivâmes la nuit au bout de la première étape, fort lasses, de par notre mauvais équipage; nous entrions dans Arevalo lorsque vint à notre rencontre un prêtre de nos amis …Il me dit secrètement que nous n'avions pas de maison, celle que nous voulions étant proche d'un monastère d'Augustins qui s'opposaient à notre installation: si nous insistions, il y aurait forcément un procès. Dieu secourable! Lorsque vous, Seigneur, soutenez notre courage, toutes les difficultés sont bien peu de chose! Elles me stimulèrent plutôt: le démon commençait à s'agiter, c'était donc la preuve que le Seigneur avait ses vues sur ce monastère…

6 De bon matin arriva le Prieur du monastère de notre Ordre à Medina, Fr. Antoine; il nous dit que la maison qu'il s'était engagé à acheter nous suffirait; elle comportait un portal 1 où l'on pourrait faire une chapelle, en l'arrangeant avec quelques tentures…

7 Nous atteignîmes Medina del Campo la veille de la fête de Notre-Dame d'août, à minuit…
8 Arrivées à la maison, nous entrâmes dans un patio. Les murs me semblèrent fort croulants, mais moins que ne le révéla le jour à son lever. On eût dit que le Seigneur avait aveuglé ce bienheureux Père, afin qu'il ne vît pas qu'il ne convenait pas de mettre là le Très Saint-Sacrement…

9 …nous fîmes si bien diligence qu'au petit matin l'autel était dressé, la cloche dans un corridor, et l'on dit immédiatement la messe. Cela suffisait pour prendre possession. Nous n'en savions rien, et posâmes le Très Saint-Sacrement; nous suivîmes la messe à travers les fentes d'une porte en face de l'autel faute d'autre endroit où nous mettre.

10 Jusque-là j'avais été très contente, car c'est pour moi une grande joie de voir une église de plus où se trouve le Saint-Sacrement; mais cette joie fut de courte durée. Après la messe, comme je regardais le patio par une fenêtre, je vis presque tous les murs par terre; il faudrait bien des jours pour les reconstruire. Ô grand Dieu! Quelle ne fut pas l'angoisse de mon coeur lorsque je vis Sa Majesté dans la rue…

11 A cela s'ajoutèrent les difficultés que pouvaient créer ceux qui m'avaient critiquée, et je compris clairement qu'ils auraient raison. Il me semblait impossible de poursuivre ce que j'avais commencé; jusque-là tout avait paru facile, jugeant que tout était fait pour Dieu, mais la tentation m'étreignait maintenant si fort qu'il ne me semblait plus avoir reçu ses grâces: je ne voyais que ma bassesse et mon impuissance. Sans autre soutien que ma misère, quel succès pouvais-je espérer? …Il me semblait aussi, vu l'échec de ce début, que ce que le Seigneur devait faire par la suite, à ce que j'avais compris, ne s'effectuerait point. II s'ajoutait à cela une crainte: ce que j'avais entendu dans l'oraison ne serait-ce pas qu'illusion?...

14 Au bout de huit jours, un marchand qui habitait une très bonne maison comprit notre détresse; il nous dit de nous y installer à l'étage supérieur, et de nous y considérer comme chez nous. Il nous donna une grande salle dorée pour nous servir d'église....

15 Je me sentis désormais plus tranquille, car là où nous étions nous pûmes nous cloîtrer et recommencer à réciter les Heures; cependant le bon Prieur se hâtait de reconstruire la maison avec bien des difficultés. En tout, cela prit bien deux mois; mais elle fut installée de telle sorte que nous pûmes y vivre convenablement quelques années. Plus tard Notre-Seigneur y apporta des améliorations.

16 Cela ne m'empêchait pas de me préoccuper des monastères de religieux, mais comme je l'ai dit, je n'en avais aucun, et je ne savais que faire; je me décidai à en parler très secrètement au Prieur du monastère de Sainte-Anne, et à lui demander conseil. Il se réjouit beaucoup de ce que je lui appris, et me promit d'être le premier. Je crus qu'il plaisantait, et le lui dis… Quoiqu’heureuse de l'entendre, je n'étais pas malgré tout cela pleinement satisfaite, et le priai de surseoir le temps de s'exercer à tenir ce qu'il devrait promettre…

17 Peu de temps après vint nous voir un jeune Père qui étudiait à Salamanque; un autre l'accompagnait, qui me parla avec admiration de la vie de ce Père. Il se nommait Fr. Jean de la Croix. Je louai Notre-Seigneur et ce qu'il me dit me causa une grande joie, car lui aussi voulait entrer chez les Chartreux. Je lui fis part de mes projets et j'insistai beaucoup pour qu'il attendît que le Seigneur nous donnât un monastère et comme il serait bon, s'il voulait se parfaire, que ce fût dans l'Ordre même, et combien il y servirait mieux le Seigneur. Il y consentit et me donna sa parole à condition que cela ne tarde pas trop longtemps. Lorsque j'eus deux religieux pour débuter, je vis l'affaire faite, bien que je ne sois pas encore aussi contente du Prieur; j'attendis donc quelque temps, et puis il fallait savoir où commencer...

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