dimanche 27 mai 2012

Thérèse d'Avila, Fondations 10, extraits

Thérèse d'Avila

Fondations, 10 (traduction Marcelle Auclair), extraits


De la fondation de la maison de Valladolid. On donne à ce monastère le nom de la Conception de Notre-Dame du Carmel.

1 Cinq à six mois avant la fondation du monastère de Saint-Joseph de Malagon, un jeune gentilhomme de haute naissance m'avait fait savoir que si je voulais fonder un monastère à Valladolid, il y possédait une maison avec un grand et très bon verger au milieu d'une grande vigne, qu'il donnerait de tout cœur; il tint à ce que j'en prenne aussitôt possession; cette propriété avait beaucoup de valeur. J'acceptai, sans être encore bien décidée à fonder à cet endroit, car la maison était située à un quart de lieue de la ville…

2 Deux mois plus tard environ, il fut atteint d'un mal foudroyant qui lui enleva l'usage de la parole; il avait du mal à se confesser, mais demandait par signes le pardon du Seigneur. Il mourut en quelques jours, loin de l'endroit où je me trouvais. Le Seigneur me dit que son salut avait été en grand danger, le service qu'il avait rendu à sa Mère en offrant cette maison pour y fonder un monastère de son Ordre lui avait valu miséricorde, mais il ne sortirait du purgatoire que lorsqu'on y dirait la première messe…

3 … Lorsque je vis la maison, mon angoisse fut grande; c'était de la folie, je le compris, que d'espérer y faire vivre, sans grande dépense, des religieuses; bien que l'habitation fût extrêmement plaisante et le verger délicieux, mais sise au bord de la rivière, elle ne pouvait manquer d'être malsaine.

4 … Bien que chancelante, je croyais que le Seigneur, qui m'avait dit ce qu'on sait, y remédierait. Je fis très secrètement venir des ouvriers et commencer à élever des murs pour la clôture et ce qu'il nous fallait. Julien d'Avila, l'ecclésiastique dont j'ai parlé, nous accompagnait ainsi que l'un des deux religieux qui voulaient être Déchaux; il s'informait de notre manière de vivre dans ces maisons. Julien d'Avila s'occupait d'obtenir l'autorisation de l'Ordinaire, qui avait donné bon espoir avant mon arrivée. Cela n'alla pourtant pas assez vite pour que nous ayons cette autorisation avant le dimanche mais on nous permit de dire la messe là où devait être notre église, et cette messe fut dite…

6 Nous prîmes possession de ce monastère le jour de Notre-Dame de l'Assomption, 15 août 1568. Nous y restâmes peu de temps, car presque toutes nous tombâmes malades. Voyant cela, une dame de Valladolid, Dona Maria de Mendoza, femme du commandeur Cobos, mère du marquis de Camarasa, nous rendit de grands services… Sa grande charité vit que nous aurions bien des difficultés dans cette maison éloignée des aumônes, et malsaine; elle nous proposa de la lui laisser et de nous en acheter une autre. C'est ce quelle fit, et celle qu'elle nous donna valait beaucoup plus; elle nous donna aussi tout ce dont nous avions besoin et le fera tant qu'elle vivra.

7 Le jour de Saint-Blaise, nous nous y transportâmes en grande procession, au milieu de la ferveur de toute la ville; cette vénération dure encore, car le Seigneur répand ses miséricordes sur cette maison… Il est entré ici une religieuse qui, malgré son très jeune âge, montre bien ce qu'est le mépris du monde; je crois utile d'en parler ici, pour la confusion de ceux qui l'aiment beaucoup, et servir d'exemple aux jouvencelles à qui le Seigneur inspire de bons désirs et de bonnes inspirations: elles verront comment les mettre en oeuvre.

8 Il est en cette ville une dame nommée Dona Maria de Acuna, soeur du comte de Buendia, qui fut autrefois mariée au gouverneur de Castille. Il mourut, la laissant fort jeune avec un fils et deux filles…

14 …il n'y avait pas deux mois qu'elle était fiancée lorsque le Seigneur commença à l'éclairer, mais elle ne comprit pas tout de suite. Lorsqu'elle avait passé une heureuse journée avec son fiancé, qu'elle aimait plus ardemment qu'on n'aime à son âge, elle éprouvait un grand chagrin de voir ce jour déjà passé et qu'ils passeraient tous de même. Ô grandeur de Dieu qui se servit de cette joie causée par les joies périssables pour l'amener à les haïr! Elle fut prise d'une si grande tristesse qu'elle ne pouvait la cacher à son fiancé; elle en ignorait elle-même la cause, et ne savait que dire lorsqu'il l'interrogeait.

15 Les choses en étaient là lorsqu'il fut obligé de partir pour un lointain voyage; elle l'aimait tant qu'elle en eut beaucoup de peine. Mais le Seigneur lui révéla la raison des dangers du monde. Elle en fut angoissée, d'autant plus que cela lui parut sans remède (elle ignorait encore que bien que fiancée elle pouvait être religieuse); son amour pour son fiancé l'empêchait de se décider, elle avait donc, surtout, beaucoup de chagrin.

16 Mais le Seigneur qui la voulait à lui affaiblit son amour et renforça son désir de tout quitter. Il ne s'agissait encore pour elle que de sauver son âme par le meilleur moyen; elle craignait, prise par les choses mondaines, d'oublier de tendre vers ce qui est éternel, car Dieu lui-même lui avait inculqué à un âge si tendre la sagesse de chercher à gagner ce qui ne finit jamais. Heureuse âme qui sortit si tôt de l'aveuglement dans lequel meurent tant de vieillards! Lorsqu'elle eut repris l'usage de sa volonté, elle décida de la consacrer à Dieu totalement…

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