mercredi 6 juin 2012

Thérèse d'Avila Fondations XI extraits


Thérèse d'Avila
Fondations, 11 (traduction Marcelle Auclair), extraits


De l'ordre que reçut Dona Casilda de Padilla de suivre son saint désir d'entrer en religion.

1 C'est alors qu'eut lieu en ce monastère de l'Immaculée Conception la prise de voile d'une soeur converse dont je conterai peut-être la vocation, car bien qu'elle soit de condition fort différente, simple petite paysanne, elle mérite qu'on se souvienne d'elle, pour la plus grande louange de Sa Majesté, à cause des grandes faveurs que Dieu lui a accordées. Dona Casilda (ainsi se nommait cette aimée du Seigneur), vint à cette prise de voile avec la mère de son fiancé, et se prit d'affection extrême pour le monastère; il lui sembla que des religieuses peu nombreuses et pauvres devaient mieux servir le Seigneur; mais elle n'était pas encore décidée à renoncer à son fiancé, et cela seul, comme je l'ai dit, la retenait.

2 Elle considérait qu'avant ses fiançailles elle disposait d'un peu de temps pour l'oraison: dans sa bonté et sa sainteté sa mère avait accoutumé ses enfants à entrer de temps en temps dans un oratoire, elle leur avait appris à considérer la Passion de Notre-Seigneur, et les poussait à de fréquentes confessions; c'est ainsi qu'elle obtint que s'accomplît son désir de voir ses enfants se donner à Dieu. Elle m'a dit elle-même qu'elle les lui offrait, qu'elle le suppliait de les retirer du monde, car, désabusée, elle savait le peu d'estime qu'il mérite…

3 Je reviens à mon sujet; constatant que depuis ses fiançailles elle récitait même le chapelet à contre-coeur, elle eut peur que son indifférence ne fît que s'accroître, tandis qu'il lui semblait voir clairement son salut assuré dans cette maison. Elle prit ainsi la décision d'y entrer; un matin donc, où elle y vint avec sa mère et sa soeur, elles eurent l'opportunité de pénétrer à l'intérieur du monastère, fort éloignées de supposer qu'elle ferait ce qu'elle fit. Lorsqu'elle y fut introduite, il n'y eut plus moyen de la renvoyer…

4 A force de persuasion, et pour qu'on n'accusât pas sa mère, elle sortit ce jour-là du couvent, mais ses désirs allaient de l'avant. Sa mère prévint secrètement ses parents; il s'agissait de tout cacher au fiancé…

5 Mais le secret ne fut pas si bien gardé que son fiancé n'en fut averti. Lorsqu'elle sut qu'il était au courant, elle jugea aussitôt qu'il était impossible d'attendre son retour; un jour de l'Immaculée Conception où elle était chez sa grand-mère qui était aussi sa future belle-mère, et qui ignorait tout, elle la pria fort de lui permettre d'aller se distraire un peu à la campagne avec sa gouvernante; elle le lui accorda pour lui faire plaisir, et mit à sa disposition une voiture avec ses domestiques. Dona Casilda donna de l'argent à l'un d'eux et lui commanda de l'attendre à la porte du monastère avec des fagots; quant à elle, après quelques détours, elle se fit amener devant cette maison. Elle envoya au tour demander un pot d'eau sans dire que c'était pour elle, et mit vivement pied à terre; on lui offrit de lui apporter l'eau, mais elle refusa. Les fagots étaient là, elle demanda qu'on ouvrît la porte du couvent pour les prendre, et se tint auprès; dès qu'on eut ouvert, elle entra, courut embrasser la statue de Notre-Dame en pleurant, et supplia la Prieure de ne pas la chasser

8 Lorsque son fiancé et ses parents comprirent qu'ils ne parviendraient pas à la faire sortir de bon gré, ils essayèrent la force; ils apportèrent donc un acte royal pour la tirer du monastère, et commander qu'on la mît en liberté. Tant qu'elle était restée au couvent, depuis le jour de l'Immaculée Conception jusqu'à celui des saints Innocents, elle n'avait pas porté l'habit mais observé la règle aussi exactement qui si elle l'eût porté, et avec une joie extrême. Le jour même on la conduisit chez un gentilhomme où la justice vint la chercher. On l'emmena en larmes…

9 Voyant que rien n'y faisait, ils la mirent chez sa mère pour gagner du temps; celle-ci s'était lassée de tant d'agitations, elle ne l'aidait plus, et semblait même s'être retournée contre elle. C'était peut-être pour l'éprouver davantage, comme elle me l'a dit plus tard; elle est si sainte qu'il faut la croire, mais l'enfant n'y comprenait rien. Son confesseur aussi lui était formellement opposé, elle n'avait donc que Dieu et une des femmes de sa mère pour la soutenir…

10 Lorsqu'elle le comprit, elle décida d'user de tous les moyens pour être heureuse et en venir à ses fins. Un jour donc, à la messe, alors que sa mère était au confessionnal, elle pria sa gouvernante d'aller demander à l'un des prêtres de lui dire une messe; elle ne fut pas plus tôt partie que l'enfant glissa ses socques dans sa manche, releva ses jupes, et s'élança de toute sa vitesse vers ce monastère qui était fort éloigné. Lorsqu'au retour sa gouvernante ne la vit point, elle se mit à sa poursuite, elle l'approchait déjà, et cria à un homme de l'arrêter. Il dit ensuite qu'il lui avait été impossible de bouger. Elle échappa donc, franchit la première porte du monastère, ferma cette porte, et se mit à appeler; quand la gouvernante arriva, elle était déjà à l'intérieur du couvent; on lui donna immédiatement l'habit; c'est ainsi qu'elle accomplit le dessein que le Seigneur lui avait inspiré



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