mardi 10 juillet 2012

Thérèse d'Avila

Fondations, 15 (traduction Marcelle Auclair), extraits

Avec l'Ordre du Carmel qui se prépare au V° centenaire de la naissance de Sainte Thérèse de Jésus (d'Avila), nous vous proposons une découverte du Livre des Fondations


De la fondation du monastère du glorieux Saint Joseph dans la ville de Tolède, l'an 1569.

1 Il était alors à Tolède un honnête marchand, bon serviteur de Dieu, qui n'avait jamais voulu se marier, et vivait en très bon catholique; cet homme véridique, vertueux, nommé Martin Ramirez, voulait légalement consacrer ses biens à une œuvre agréable au Seigneur. Il prit le mal de mort. Un Père de la Compagnie de Jésus, nommé Paul Hernandez, qui désirait vivement qu'on fondât un monastère dans sa ville, alla voir Martin Ramirez; il lui dit qu'il servirait grandement le Seigneur s'il utilisait les fonds destinés aux constructions de chapelles et établissements de chapelains qu'il avait projetés au profit de ce monastère...
2 Il était si malade qu'il vit bien qu'il n'aurait pas le temps de prendre ces dispositions; il en chargea son frère, Alonso Alvarez Ramirez, et Dieu l'emmena…

3 Lorsque Martin Ramirez mourut, j'étais encore occupée à la fondation de Valladolid; le P. Paul Hernandez, de la Compagnie de Jésus et Alonso Alvarez lui-même m'écrivirent ce qui en était, me priant de venir au plus vite si j'acceptais de fonder ce monastère; je partis donc peu après l'installation de la maison de Valladolid…

4 Je me mis immédiatement à traiter l'affaire avec Alonso Alvarez … moi-même je ne parvenais pas à obtenir l'autorisation du Gouverneur (en ce temps-là il n y avait pas d'Archevêque), malgré l'appui de la dame chez qui j'habitais… lorsque le Gouverneur mollissait un peu, ceux du Conseil tenaient bon. D'autre part nous ne parvenions pas à nous mettre d'accord, Alonso Alvarez et moi, car il subissait l'influence de son gendre. Enfin, nous en vînmes à rompre tout à fait.


5 Je ne savais où donner de la tête, car je n'étais venue que pour ce couvent, et je voyais que je ferais scandale si je repartais sans le fonder… Décidée, donc, à voir le Gouverneur, je me rendis à une église voisine de sa maison, et le fis supplier de bien vouloir me parler. Il y avait deux mois que l'on s'évertuait, et tout allait de mal en pis. Lorsque je me trouvai devant lui, je lui dis «qu'il était bien dur que des femmes qui ne souhaitent que vivre dans les rigueurs, la perfection, la claustration, soient empêchées de servir Notre-Seigneur par ceux qui ne souffrent rien de tout cela, et ne songent qu'à vivre douillettement ». Je lui dis cela, et bien d'autres choses encore, animée par le Seigneur d'un grand esprit de décision. Je touchai si bien son cœur qu'avant que je ne le quitte il me donna l'autorisation.


6 Je partis très contente, croyant tout avoir, bien que je n'eusse rien: je devais posséder en tout trois ou quatre ducats que j'employai à acheter deux tableaux - car je n'avais pas d'images à mettre au-dessus de l'autel, - deux paillasses et une couverture. Pas question de maison; j'avais rompu avec Alonso Alvarez… Quelques jours auparavant était arrivé un frère franciscain, très saint, nommé Fr. Martin de la Croix. Il resta peu de temps, et après son départ, il m'envoya un jeune homme dont il était le confesseur, nommé Andrada, point riche, et même très pauvre, qu'il avait prié de faire tout ce que je lui demanderais. Un jour que j'écoutais la messe dans une église, il vint à moi de la part de ce bienheureux, m'assurant qu'il ferait tout ce qu'il pourrait pour moi, bien qu'il ne disposât que de sa seule personne…

7 Donc, quand je me vis avec l'autorisation, mais sans personne qui puisse m'aider, je ne sus que faire ni à qui demander de me chercher une maison à louer. Je me rappelai le jeune homme que Fr. Martin de la Croix m'avait envoyé, et j'en parlai à mes compagnes. Elles rirent beaucoup de moi, me conseillant de ne rien lui dire, certaines que cela ne ferait qu'éventer l'affaire. Je ne les écoutai point: j'étais sûre qu'il ne m'avait pas été envoyé sans une mystérieuse raison par ce serviteur de Dieu, et qu'il ferait quelque chose. Je le fis donc appeler, je lui contai ce qui s'était passé en lui demandant le plus profond secret, et le priai de me chercher une maison… Bientôt, un matin où j'entendais la messe à la Compagnie de Jésus, il vint me parler et m'annonça qu'il avait la maison; il apportait les clefs, et comme elle était proche nous pouvions aller la voir, ce que nous fîmes; elle nous convenait si bien que nous y vécûmes près d'un an.

8 Souvent, quand je considère cette fondation, les desseins de Dieu m'émerveillent. Il y avait près de trois mois que des personnes si riches fouillaient Tolède à la recherche d'une maison; elles n'en trouvaient pas plus que s'il n'y en avait jamais eue. Et Dieu voulut que ce garçon qui était, lui, fort pauvre, en trouvât une rapidement; Il voulut que l'accord avec Alonso Alvarez, qui eût tout arrangé sans effort, ne se fît pas, afin que cette fondation soit due au travail et à la pauvreté.

9 Puisque la maison nous plaisait, je donnai l'ordre d'en prendre possession avant d'y rien faire, pour éviter toute difficulté…Nous empruntâmes ce qui était indispensable pour célébrer la messe, et emmenant un officiant, nous allâmes à la tombée de la nuit prendre possession…

11 … lorsque la propriétaire constata que nous avions transformé sa maison en église elle nous créa des difficultés … Lorsqu'elle considéra que nous paierions la maison un bon prix si elle nous satisfaisait, le Seigneur l'apaisa. Mais les Conseillers apprirent la fondation du monastère pour lequel ils n'avaient jamais voulu donner d'autorisation; furieux, ils se rendirent chez un gentilhomme ecclésiastique (que j'avais secrètement prévenu) et lui dirent qu'ils allaient montrer qui ils étaient. Le Gouverneur était absent, il avait dû partir en voyage après m'avoir donné l'autorisation; ils allèrent donc voir celui dont je parle, stupéfaits de l'audace de la femmelette qui avait fondé un monastère contre leur volonté. II fit semblant de ne rien savoir et les calma du mieux qu'il put, en leur expliquant que puisque j'en avais fondé d'autres ailleurs, ce n'était vraisemblablement pas sans les autorisations nécessaires.

12 Quelques jours plus tard, le Conseil nous fit interdire sous menace d'excommunication de faire dire la messe jusqu'à ce que nous montrions nos autorisations. Je répondis avec beaucoup de douceur que j'obéirais, bien que rien ne m'y obligeât; et je demandai à Don Pierre Manrique le gentilhomme dont j'ai parlé, de leur montrer mes pouvoirs. Il les apaisa en les mettant devant le fait accompli. Sinon, ils nous eussent donné du mal...









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