dimanche 2 septembre 2012

Thérèse d'Avila, Fondations 20, extraits

Thérèse d'Avila

Fondations, 20 (traduction Marcelle Auclair), extraits

Avec l'Ordre du Carmel qui se prépare au V° centenaire de la naissance de Sainte Thérèse de Jésus (d'Avila), nous vous proposons une découverte du Livre des Fondations

De la fondation du monastère de Notre-Dame de l'Annonciation à Alba de Tormès en l'année 1571.

1 Il n'y avait pas deux mois que nous avions pris possession de la maison de Salamanque, le jour de la Toussaint, lorsque l'intendant du duc d'Albe et sa femme m'importunèrent pour que je fonde un monastère à Alba de Tormés. Je n'en avais pas fort envie, car dans un petit bourg tel que celui-là, il faut qu'un couvent ait des revenus, et j'incline toujours à ce qu'ils n'en possèdent pas. Je communiquai ce projet à mon confesseur, le P. Maître Fr. Dominique Banez, dont j'ai parlé au début de ces fondations, qui se trouvait alors à Salamanque; il me gronda: le concile autorisant les revenus, il me dit que ce ne serait pas bien de refuser de fonder un monastère pour cette raison, que je n'y comprenais rien, car cela n'empêcherait pas les moniales d'être pauvres et très parfaites…

2 Thérèse de Layz, fondatrice du monastère de l'Annonciation de Notre-Dame d'Alba de Tormés était née de parents nobles, hidalgos, et de sang pur. Le fait de n'être pas aussi riches que l'eût voulu la noblesse de leurs ancêtres les forçait à habiter une petite localité appelée Tordillos, à deux lieues d'Alba…Les parents de Thérèse de Layz avaient déjà quatre filles lorsqu'elle naquit: ils furent donc fort affligés d'avoir encore une fille…

5 Lorsqu'elle fut en âge de se marier, elle ne le voulait ni le désirait. Pourtant, lorsqu'elle apprit que Francisco Velez la demandait - il est fondateur avec elle du couvent, et son mari, - elle décida, en l'entendant nommer, d'accepter de l'épouser, bien qu'elle ne l'eût vu de sa vie; mais le Seigneur savait que cela convenait à la réalisation de l'œuvre qu'ils ont faite ensemble au service de Sa Majesté…

6 … Ils n'avaient qu'un chagrin: Notre-Seigneur ne leur donnait pas d'enfants; pour en obtenir, elle faisait de grandes dévotions et prières, et ne demandait au Seigneur rien d'autre que de lui accorder une descendance qui, lorsqu'elle ne serait plus, louerait Sa Majesté…

7 Elle vécut dans ce désir de longues années, et après bien d'autres dévotions elle se recommanda à saint André lorsqu'elle apprit qu'il est l'avocat de cette sorte de choses. Mais une nuit où elle était couchée, on lui dit: «Ne souhaite pas d'enfants, ce serait ta damnation.» Cela l'étonna et l'effraya, mais son désir ne céda point pour autant: son but était bon, pourquoi serait-elle damnée? Elle continua donc à prier Notre-Seigneur et, en particulier, saint André. Une autre fois qu'elle éprouvait ce même désir, - elle se vit dans une maison, il y avait un puits sous la galerie du patio, et une prairie parsemée de fleurs blanches si belles qu'elle n'aurait su les décrire; auprès du puits, saint André lui apparut sous l'aspect d'un vieillard très beau et très vénérable qu'elle avait grand plaisir à regarder; il lui dit: «Tes enfants seront autres que tu ne le désires.» …

9 Très impressionnée par cette vision, elle dit à son mari que puisque Dieu ne voulait pas leur donner d'enfants, ils devaient fonder un couvent de religieuses. Il était si bon et il l'aimait tant qu'il s'en réjouit, et ils parlèrent entre eux de l'endroit où ils le fonderaient. Elle proposa son pays natal; il lui opposa de justes critiques et lui fit comprendre que cela ne convenait pas.

10 Il s'en occupait lorsque la duchesse d'Albe le fit appeler; il y alla, et elle lui ordonna de revenir habiter Alba pour prendre charge d'un poste dans sa maison… Sa femme, quand elle l'apprit en fut très affligée … Il acheta une maison et l'envoya chercher, elle vint à regret, et fut encore plus affligée quand elle vit la maison: vaste, bien située, mais mal agencée. Elle fut donc très chagrine cette nuit-là. Le lendemain matin en entrant dans le patio, elle y vit le puits auprès duquel saint André lui était apparu; tout était en tous points identique à sa vision, je dis le site, car ni le saint, ni le pré, ni les fleurs n'étaient là, bien qu'ils aient été et soient encore nets dans son imagination.

11 Ce qu'elle vit la troubla et la décida à fonder ici même le couvent; et elle éprouva une telle consolation, un tel apaisement, qu'elle ne voulut plus aller ailleurs; ils se mirent donc à acheter plusieurs maisons voisines jusqu'à ce qu'ils eussent un local suffisant. Elle se préoccupait de l'Ordre qui s'y installerait, car elle tenait à ce que les religieuses soient peu nombreuses et cloîtrées. Elle en parla à deux religieux d'Ordres différents, l'un et l'autre sages et doctes tous deux prétendirent qu'elle ferait mieux de s'employer à d'autres œuvres …

12 … Il semble bien que Dieu ait gravé dans son cœur le modèle de ce qui a été réalisé, mais lorsqu'elle en parlait, lorsqu'elle décrivait la façon dont elle l'imaginait, on riait d'elle, et on prétendait qu'elle ne trouverait nulle part ce qu'elle cherchait; particulièrement son confesseur, un moine de saint François, homme docte et de qualité. Elle désespérait.

13 En ce temps-là, ce moine se trouva aller en un lieu où il entendit parler des monastères de Notre-Dame du Carmel qui se fondaient. Il s'en informa et à son retour il annonça à cette dame qu'il avait trouvé le monastère qu'elle voulait, et qu'elle pouvait le fonder; il lui dit ce qui en était, et lui conseilla d'en parler avec moi. Il en fut ainsi. L'accord fut laborieux, car j'ai toujours prétendu que lorsqu'un monastère a des revenus, ils doivent être suffisants pour que les religieuses n'aient pas recours à leurs parents ni à qui que ce soit; la maison doit leur donner à manger, les habiller, leur fournir le nécessaire, et les malades être très bien soignées; le manque du nécessaire a de grands inconvénients. Jamais le courage ni la confiance ne m'ont manqué pour fonder de nombreux monastères privés de revenus, avec la certitude que Dieu ne leur fera pas défaut; mais tout me manque lorsqu'il s'agit d'en fonder qui n'ont que des revenus mesquins: je préfère ne point les fonder.

14 Ils entendirent enfin raison, et firent des revenus suffisants pour le nombre de religieuses prévu; j'appréciai surtout hautement qu'ils abandonnent leur propre maison pour nous la donner et s'installer dans une autre, tout à fait ordinaire. On posa le Saint-Sacrement, et l'on fit la fondation le jour de la conversion de saint Paul en l'année 1571, pour l'honneur de Dieu, et pour sa plus grande gloire; je crois qu'en ce monastère Sa Majesté est bien servie. Dieu veuille le faire aller de l'avant!...



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