vendredi 19 octobre 2012

Fondations 26, extraits Thérèse d'Avila

Thérèse d'Avila Fondations, 26 (traduction Marcelle Auclair), extraits

Avec l'Ordre du Carmel qui se prépare au V° centenaire de la naissance de Sainte Thérèse de Jésus (d'Avila), nous vous proposons une découverte du Livre des Fondations

Suite de la même fondation du monastère de Saint-Joseph de la ville de Séville. De quelques faits remarquables concernant la première religieuse qui y entra.

1 Considérez bien, mes sœurs, le réconfort que cette journée nous apporta...J'étais surtout joyeuse d'avoir joui des peines, et de m'en aller au moment où j'aurais pu me reposer un peu. Car cette fête eut lieu le dimanche avant la Pentecôte, en l'année 1574, et je partis le lendemain, le lundi suivant; les fortes chaleurs commençaient, j'espérais éviter de voyager le jour de la Pentecôte et célébrer cette fête à Malagon, où j'aurais bien voulu rester quelques jours; c'est pourquoi je m'étais tant hâtée.

2 Dieu ne me permit pas d'entendre une seule fois la messe dans notre église. Mon départ refroidit beaucoup la joie des religieuses, elles en eurent beaucoup de peine. Nous avions passé cette année toutes ensemble et subi tant d'épreuves que comme je vous l'ai annoncé je ne parle pas des plus graves. Je crois bien qu'à part la première fondation d'Avila à laquelle rien ne peut être comparé, nulle autre ne m'a autant coûté que celle-ci, car mes plus grandes souffrances ont été intérieures. Plaise à la Divine Majesté d'être toujours bien servie dans ce couvent, comme je l'espère; à ce prix, j'estimerai peu de chose tout ce que j ai supporté. Sa Majesté commença à attirer de bonnes âmes dans cette maison; dans la mesure où l'on peut en parler, et c'est bien peu, je vous ai dit combien les cinq que j'avais amenées avec moi étaient bonnes. Je veux vous entretenir de la première qui entra ici, cela vous fera plaisir...

6 Lorsque l'enfant eut un peu plus de douze ans, elle lut un livre sur sainte Anne, et se prit d'une grande dévotion pour les saints du Mont Carmel; son livre disait que la mère de sainte Anne (elle s'appelait il me semble Émérentienne) allait souvent leur rendre visite; elle en éprouva tant de vénération pour cet Ordre de Notre-Dame qu'elle promit sur-le-champ d'être religieuse du Carmel, et fit vœu de chasteté. Elle passait dans la solitude tout le temps qu'elle pouvait, et faisait oraison. Dieu et Notre-Dame lui accordaient de grandes faveurs, très particulières. Elle eût voulu être religieuse immédiatement; elle n'osait pas, à cause de ses parents, et ne savait pas non plus où trouver cet Ordre...

7 Lorsqu'elle fut en âge de se marier, ses parents lui cherchèrent un époux, bien qu'elle fût encore fort jeune; ils n'avaient plus qu'elle, ses autres frères et sœurs étaient morts, celle-ci, la moins aimée, leur était seule restée. Lorsqu'on l'avait injustement accusée, un de ses frères l'avait soutenue et demandé qu'on n'ajoutât pas foi aux dires de ces femmes. Quand le mariage fut décidé, on le lui annonça, sans supposer qu'elle pût avoir une autre volonté; elle révéla alors le vœu qu'elle avait fait de ne pas se marier, et dit que pour rien au monde, même si on la tuait, elle ne céderait.

8 Aveuglés par le démon, ou par Dieu qui voulait qu'elle connût le martyre, ses parents crurent qu'elle avait commis une faute qui l'empêchait de se marier; ils avaient donné leur parole, c'était faire affront au prétendant; ils la fouettèrent donc si cruellement et lui infligèrent tant de tortures, au point de vouloir la pendre, et l'étranglant à moitié, que ce fut une chance qu'ils ne la tuassent point. Dieu, qui voulait d'elle quelque chose de mieux, lui laissa la vie. Elle me dit qu'à la fin elle ne souffrait presque plus; le Seigneur lui avait remis en mémoire ce que sainte Agnès avait subi, elle se réjouissait d'endurer quelque chose pour lui, et le lui offrait. On crut qu'elle en mourrait, car elle garda le lit trois mois sans pouvoir bouger....

11 Elle était très découragée, à l'époque où le P. Gracian arriva à Séville. Un jour où elle était allée entendre un sermon dans une église du quartier de Triana que son père habitait, sans savoir qui prêchait ce fut justement le P. Maître Gracian. Lorsqu'il vint recevoir la bénédiction, son habit, ses sandales, lui rappelèrent le religieux qu'elle avait vu autrefois, bien que le visage et l'âge fussent différents, car le P. Graciant n'avait pas alors trente ans. Elle me dit qu'elle manqua s'évanouir de joie...

12 Un jour où elle pleurait dans l'église, car elle était également très timide, une femme lui demanda ce qu'elle avait. Elle lui dit qu'il y avait si longtemps qu'elle souhaitait parler à ce Père qui était en train de confesser, et qu'il n'y avait jamais eu moyen. Cette femme l'emmena vers le Père et le pria d'entendre la jeune fille: c'est ainsi qu'elle parvint à se confesser régulièrement à lui. Lui, dès qu'il eut apprécié la richesse de cette âme, en fut fort réconforté, il la réconforta à son tour en lui disant que l'Ordre qu'elle cherchait était peut-être celui des Carmélites déchaussées, et qu'il ferait en sorte qu'on l'y acceptât bientôt. Ainsi fut fait car il m'ordonna avant toute autre chose de l'admettre la première, très satisfait de son âme, et il le lui fit savoir. Quand nous arrivâmes à Séville elle fit tout pour le cacher à ses parents qui l'auraient empêchée d'entrer. Donc, le jour de la Sainte Trinité, elle quitta des femmes qui l'accompagnaient... Elle prit son habit et sa cape de bure, et je ne sais comment elle put se remuer, mais dans sa joie tout lui semblait léger. Elle craignait seulement d'être vue portant ce fardeau, contrairement à ses habitudes, et qu'on n'entravât son dessein... nous lui ouvrîmes immédiatement la porte. Je fis prévenir sa mère. Elle accourut comme hors d'elle, mais elle dit qu'elle comprenait la grâce que Dieu accordait à sa fille; malgré son chagrin, elle se résigna sans se livrer à des excès tels que ne pas lui adresser la parole, comme le font d'autres mères. Elle nous fit largement l'aumône.

13 L'épouse de Jésus-Christ commença enfin à jouir du contentement tant désiré; elle était si humble, si encline à tout faire que nous avions grand mal à lui retirer le balai. Après avoir été si gâtée chez elle, elle trouvait son repos dans le travail...

15 Son père mourut quelques jours après son entrée au monastère, sa mère prit l'habit dans ce même couvent et lui donna tous ses biens. Mère et fille y vivent dans un grand contentement, pour l'édification de toutes les religieuses et le service de celui qui leur a accordé une si grande faveur.

16 Un an ne s'était pas écoulé qu'arriva une autre jeune fille, bien malgré la volonté de ses parents. C'est ainsi que le Seigneur peuple sa maison d'âmes si désireuses de le servir que ni la rigueur ni le cloître ne les rebutent. Qu'il soit béni et loué à présent et toujours! Amen.

Aucun commentaire: