dimanche 17 août 2014

Homélie 20e dimanche A – 2014 -

Homélie 20e dimanche A – 2014 -
 Carmel de Saint-Maur - Père Maurice Boisson

Pas toujours facile de se comprendre, de dialoguer, de s’entendre. C’est possible, il faut y croire – c’est l’Evangile de ce dimanche (Matthieu 15,21-28).

Que d’obstacles elle a rencontré, cette dame de Canaan, pour arriver à rencontrer Jésus, pour lui crier sa souffrance de sa fille malade ; que d’obstacles pour être reconnue, comprise, et finalement entendue ! au terme d’un chemin difficile de dialogue…

C’est souvent comme ça dans nos vies : que d’obstacles pour se faire comprendre, être reconnu, entendu, et pour comprendre, reconnaître et entendre l’autre !

Cette mère croit que Jésus, dont elle a sans doute entendu parler, peut guérir sa fille. Elle a confiance, mais quelle galère pour y arriver ! Elle rencontre cinq obstacles, de taille, et que nous connaissons bien :

-          D’abord sa situation : une femme, une étrangère, une païenne, qui appelle au secours Jésus, un Juif de passage dans cette région étrangère. Que de barrières, d’apparences extérieures de race, de situation d’origine, de religion, peuvent être obstacles à la rencontre et au dialogue – même pour Jésus, qui, au début, ne dit pas un mot.

-          Le deuxième obstacle est le silence : le silence de Jésus devant cette femme. « Ma fille va mal » (cf. Matthieu 15,22). C’est une expérience dure, ce mur de silence – ou le silence d’un mur. On n’a plus de prise, on bute sur l’accès à l’autre. C’est aussi l’expérience de la prière, quand on rencontre le silence de Dieu dans le mal, dans le besoin : Dieu ne répond pas. C’est ce qui s’est passé le samedi saint : le Père ne s’est pas manifesté par une parole. Le silence, dans le dialogue, quand ce n’est pas un blindage, peut être aussi un espace et un chemin qui creuse le tunnel de la rencontre avec l’autre.

-          Un troisième obstacle est la réaction de l’entourage. Les amis de Jésus, bons apôtres et bons paroissiens, en ont marre d’entendre crier cette femme. « Fais quelque chose, renvoie-la. Elle nous soûle. » Ce qui les préoccupe, ce n’est pas la souffrance de cette femme, mais leur propre tranquillité. On connaît bien ça aussi, de protéger notre tranquillité.

-          Et malgré tout ça, Jésus refuse toujours d’accéder à la demande de la Cananéenne. C’est un quatrième obstacle à franchir : le refus. Jésus refuse d’intervenir parce qu’il pense encore qu’il n’est envoyé que pour le peuple d’Israël et pas pour tous les étrangers et païens. « Je ne suis pas là pour ça ; c’est pas dans mon emploi du temps, dans ce qu’on me demande. » Jésus consent à motiver son refus en disant (cf. Matthieu 15,26) : « Il ne faut pas prendre le pain des enfants (c’est-à-dire du peuple d’Israël) pour le donner aux petits chiens. » « Chien » était le nom donné aux païens. Jésus s’adoucit : il parle de petits chiens - c’est déjà plus gentil.

-          Voilà la brèche et la faille qui va faire basculer Jésus : c’est le cinquième obstacle, celui de l’écoute en profondeur qui va ouvrir une porte. « Quand on mange du pain, il y a des miettes, on peut les ramasser sous la table, comme les petits chiens. Alors, nous les païens et les étrangers, les petits chiens, on peut avoir part aussi à quelques miettes de ce bon pain d’amour, de paix, de courage, de guérison, que tu donnes aux tiens ! On ne les prive pas. » Jésus est touché au cœur, déstabilisé par la foi de cette maman. « Ta foi est grande, que tout se passe pour toi comme tu le veux. » Et, à l’heure même, sa fille fut guérie. » (Matthieu 15,28)

Cette femme, dans le dialogue, a aidé Jésus à prendre conscience – ou se rappeler – qu’il n’était pas là que pour un groupe, un peuple, mais pour tous, comme le laissait entrevoir les prophètes de l’Ancien Testament.

Jésus ne sait pas tout à sa naissance. On n’est pas dans une religion de la magie, mais de l’Incarnation. Dieu prend corps, chair, esprit, conscience, progressivement dans l’humanité. Dieu se fait l’un de nous dans la croissance de l’humain qui accueille le divin. Lui aussi peut se laisser fléchir par la prière. C’est le dialogue avec Dieu dont nos difficiles dialogues sont le reflet. Quel changement de ton et d’attitude intérieure ! La distance, le silence et le refus de Jésus font peu à peu place à l’accueil, à l’écoute, à la reconnaissance de ce qui anime profondément cette femme, et à la guérison.

Les cris du début de cette femme font place au calme, à l’intelligence ; la persévérance, la foi, prennent le dessus.

Ainsi peut-il en être de nos dialogues difficiles : c’est dans la profondeur qu’on se rejoint au-delà des barrières et des étiquettes superficielles.

Tout dialogue, avec les autres et avec Dieu, est un itinéraire semé d’obstacles, un chemin vers la profondeur cachée du meilleur de chacun. Comme l’exprimait si bien la prière d’ouverture : « Un chemin commun vers les biens que l’œil ne peut voir, mais que le cœur peut trouver. »

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