Homélie de la Toussaint - Année A
Carmel de Saint-Maur — Père Maurice Boisson
Comment peut-on
dire à quelqu’un : « Tu es heureux si tu pleures, si on te persécute, si
tu subis l’injustice. » ? Ce n’est pas vrai que ça se passe bien pour ceux
qui essaient de faire la paix, de refuser la violence, de rester honnête.
Ceux que Jésus
déclare heureux sont ceux que nous pensons malheureux et qui, souvent, le sont
réellement. Pourtant, ces paroles des Béatitudes sont considérées et citées comme les plus
belles pages de l’humanité. Pourquoi ont-elles cette charge émotionnelle et
humaine qui touche même les incroyants ? Pourquoi, 2000 après, continuent-elles
à nous parler ?
Quand on
prépare des obsèques avec des familles, c’est bien souvent ce texte que l’on
choisit. « Pourquoi l’avez-vous choisi ? » « Il correspond
bien… », entre les silences et quelques larmes, un balbutiement :
« Il était un peu comme ça, le Papy ! Il avait ses petits travers, il
n’allait pas souvent à la messe, mais il était bon, il était droit, il était
toujours prêt pour le coup de main. »
« Heureux
! » Un arrêt sur
l’essentiel. Une secrète espérance commençait à se raviver dans les coeurs,
comme une petite braise, enfouie, presque éteinte.
« Heureux
! » Ce mot et cette réalité, enfouis au coeur de chaque être humain,
re-parlaient, re-naissaient.
Sur la pente de
la colline que Jésus vient de gravir, Il voit tous ces visages, comme celui du
papy, marqués des traits de leurs peines, les yeux et les oreilles tendus vers
une parole, un geste de réconfort, d’espérance, qui sait ? Cette petite braise
au fond de nous-mêmes, repartirait-elle
? Éclairerait-elle à nouveau ? Nous réchaufferait-elle à nouveau ?
Jésus s’assied
par terre. Il n’est pas debout sur un podium devant un buisson de micros,
déclamant un catalogue de promesses électorales. Ses proches viennent près de
Lui pour L’entendre. Sa parole douce ne porte pas loin, en plein air. Mais ses
amis iront ensuite redire à tous ceux qui sont plus loin ce qu’Il va leur dire.
C’est cela être témoin…
Assis, Jésus,
d’une voix mêlée de tristesse en voyant ces visages, mais porteuse d’une
immense joie intérieure, va réveiller en eux les braises d’espérance en un
bonheur malgré tout. Il voit, dans ces visages, des traits de ressemblance avec
le visage et le coeur de son Père, de Dieu.
« Heureux
! » Il y a en nous un germe secret de bonheur, parce qu’il y a en chacun
de nous des traits de ressemblance avec Dieu. C’est cela la sainteté :
chercher, même sans le savoir ou le vouloir, à ressembler à Dieu, dans le
désencombrement de soi-même, pour faire une place à Autre que soi : Les pauvres
de coeur. Dans le refus de la violence qui détruit, : les doux, ceux qui font
la paix et la justice. En ayant le coeur gros de la peine des autres : ceux qui
pleurent. Dans la recherche d’une vie honnête et droite : les coeurs purs. En
ayant le courage de la vérité et de la foi, au prix d’être mal vus : les
calomniés et les persécutés… Dieu est comme cela, c’est son désir, c’est ce qui
gagnera : le germe de bonheur fleurira.
Jésus réveille,
en cette fête de la Toussaint, cette braise de bonheur en chacun, présence de
Dieu en nous et désir d’un meilleur.
Personne ne
peut dire qu’il n’est pas pauvre - on peut ne manquer de rien mais être pauvre
en richesses intérieures. Personne ne peut dire qu’il n’a pas, cachées en
lui-même, quelques raisons légitimes de pleurer. Personne ne peut dire que ce
qu’il voit comme violence ou qu’il supporte dans sa propre existence, ne lui
donne pas envie de douceur, de paix intérieure, de justice. Dans nos pauvretés,
dans nos larmes, dans le refus de la violence et d’injustices subies ou
données, il y a du levain, des germes de bonheur et de sainteté. De là, nous
pouvons devenir des consolateurs, des faiseurs de paix, des démineurs de
violence, des témoins, des raccommodeurs d’humanité déchirée,
et des signes d’amour, tout simplement.
Cette foule
immense, dont parle Saint Jean dans la première lecture, est un peu comme les
étoiles dans le ciel : innombrables. Certaines ont un nom, sont au calendrier
officiel, certaines brûlent un peu plus, d’autres un peu moins. Chacune brille
à sa façon. C’est l’ensemble qui fait la beauté et la clarté du ciel. Toutes
nous envoient leur lumière.
Nous avons
entendu 9 « Heureux ! ». On ne peut sans doute pas réaliser tous ces
appels, à moins d’être proclamés saints « tout de suite »… mais…
Heureux
sommes-nous si nous apportons, là où nous sommes, et par là, à notre
monde, une petite lumière des Béatitudes
qui rendra plus heureux et nous et les autres et Dieu!
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