jeudi 2 novembre 2017

Homélie de la Toussaint - Année A



Homélie de la Toussaint - Année A
Carmel de Saint-Maur — Père Maurice Boisson

             Comment peut-on dire à quelqu’un : « Tu es heureux si tu pleures, si on te persécute, si tu subis l’injustice. » ? Ce n’est pas vrai que ça se passe bien pour ceux qui essaient de faire la paix, de refuser la violence, de rester honnête.

            Ceux que Jésus déclare heureux sont ceux que nous pensons malheureux et qui, souvent, le sont réellement. Pourtant, ces paroles des Béatitudes  sont considérées et citées comme les plus belles pages de l’humanité. Pourquoi ont-elles cette charge émotionnelle et humaine qui touche même les incroyants ? Pourquoi, 2000 après, continuent-elles à nous parler ?

            Quand on prépare des obsèques avec des familles, c’est bien souvent ce texte que l’on choisit. « Pourquoi l’avez-vous choisi ? » « Il correspond bien… », entre les silences et quelques larmes, un balbutiement : « Il était un peu comme ça, le Papy ! Il avait ses petits travers, il n’allait pas souvent à la messe, mais il était bon, il était droit, il était toujours prêt pour le coup de main. »

            « Heureux ! » Un arrêt sur l’essentiel. Une secrète espérance commençait à se raviver dans les coeurs, comme une petite braise, enfouie, presque éteinte.

            « Heureux ! » Ce mot et cette réalité, enfouis au coeur de chaque être humain, re-parlaient, re-naissaient.
            Sur la pente de la colline que Jésus vient de gravir, Il voit tous ces visages, comme celui du papy, marqués des traits de leurs peines, les yeux et les oreilles tendus vers une parole, un geste de réconfort, d’espérance, qui sait ? Cette petite braise au fond de nous-mêmes,  repartirait-elle ? Éclairerait-elle à nouveau ? Nous réchaufferait-elle à nouveau ?

            Jésus s’assied par terre. Il n’est pas debout sur un podium devant un buisson de micros, déclamant un catalogue de promesses électorales. Ses proches viennent près de Lui pour L’entendre. Sa parole douce ne porte pas loin, en plein air. Mais ses amis iront ensuite redire à tous ceux qui sont plus loin ce qu’Il va leur dire. C’est cela être témoin…

            Assis, Jésus, d’une voix mêlée de tristesse en voyant ces visages, mais porteuse d’une immense joie intérieure, va réveiller en eux les braises d’espérance en un bonheur malgré tout. Il voit, dans ces visages, des traits de ressemblance avec le visage et le coeur de son Père, de Dieu.

            « Heureux ! » Il y a en nous un germe secret de bonheur, parce qu’il y a en chacun de nous des traits de ressemblance avec Dieu. C’est cela la sainteté : chercher, même sans le savoir ou le vouloir, à ressembler à Dieu, dans le désencombrement de soi-même, pour faire une place à Autre que soi : Les pauvres de coeur. Dans le refus de la violence qui détruit, : les doux, ceux qui font la paix et la justice. En ayant le coeur gros de la peine des autres : ceux qui pleurent. Dans la recherche d’une vie honnête et droite : les coeurs purs. En ayant le courage de la vérité et de la foi, au prix d’être mal vus : les calomniés et les persécutés… Dieu est comme cela, c’est son désir, c’est ce qui gagnera : le germe de bonheur fleurira.

            Jésus réveille, en cette fête de la Toussaint, cette braise de bonheur en chacun, présence de Dieu en nous et désir d’un meilleur.

            Personne ne peut dire qu’il n’est pas pauvre - on peut ne manquer de rien mais être pauvre en richesses intérieures. Personne ne peut dire qu’il n’a pas, cachées en lui-même, quelques raisons légitimes de pleurer. Personne ne peut dire que ce qu’il voit comme violence ou qu’il supporte dans sa propre existence, ne lui donne pas envie de douceur, de paix intérieure, de justice. Dans nos pauvretés, dans nos larmes, dans le refus de la violence et d’injustices subies ou données, il y a du levain, des germes de bonheur et de sainteté. De là, nous pouvons devenir des consolateurs, des faiseurs de paix, des démineurs de violence, des témoins, des raccommodeurs d’humanité déchirée,  et des signes d’amour, tout simplement.

            Cette foule immense, dont parle Saint Jean dans la première lecture, est un peu comme les étoiles dans le ciel : innombrables. Certaines ont un nom, sont au calendrier officiel, certaines brûlent un peu plus, d’autres un peu moins. Chacune brille à sa façon. C’est l’ensemble qui fait la beauté et la clarté du ciel. Toutes nous envoient leur lumière.

            Nous avons entendu 9 « Heureux ! ». On ne peut sans doute pas réaliser tous ces appels, à moins d’être proclamés saints « tout de suite »… mais…

            Heureux sommes-nous si nous apportons, là où nous sommes, et par là, à notre monde,  une petite lumière des Béatitudes qui rendra plus heureux et nous et les autres et Dieu!

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