mercredi 29 juin 2016

Le « facteur décisif » de l’histoire, pour Benoît XVI et pour le pape François


Le « facteur décisif » de l’histoire, pour Benoît XVI et pour le pape François



Anniversaire de l'ordination sacerdotale du pape émérite Benoît XVI (c) L'Osservatore Romano

Un pape qui préface le livre d’un pape émérite, c’est inédit et c’est Parole et Silence qui le propose en français. Les éditeurs Sabine et Marc Larivé étaient présents ce mardi matin, 28 juin 2016, en la salle Clémentine du palais apostolique du Vatican, pour fêter, avec le pape François, les 65 ans de sacerdoce du pape émérite.

Joseph Ratzinger a été en effet ordonné prêtre le 29 juin 1951, en même temps que son frère aîné Georg, par le cardinal archevêque de Munich et Freising, Michael von Faulhaber, qui allait s’éteindre moins d’un an après (1869-1952). Le pape François a voulu marquer cet anniversaire.

Le chant d’une alouette

Dans son homélie du 29 juin 2011, 60 ans après son ordination sacerdotale, deux ans avant son renoncement, le pape émérite était revenu lui-même sur son ordination: « ‘Non plus serviteurs, mais amis’ : je savais et j’avais conscience qu’à ce moment précis, ce n’était pas seulement une parole rituelle, ni une simple citation de la Sainte Écriture. J’avais conscience qu’en ce moment-là, le Seigneur Lui-même me l’adressait de façon toute personnelle. »

Le Christ « m’accueille, avait poursuivi Benoît XVI, dans le cercle de ceux auxquels il s’était adressé au Cénacle. Dans le cercle de ceux que Lui connaît d’une façon toute particulière et qui ainsi sont amenés à Le connaître de façon particulière ».

Et dans « Ma vie, souvenirs (1927-1977) » (chez Fayard), il évoque ce 29 juin 1951 (p. 77) en disant : « Nous étions plus de 40 aspirants à répondre adsum à l’appel : « me voici », par une journée d’été radieuse, qui reste dans ma vie un sommet inoubliable. »

Puis il ajoute ce détail où perce sa sensibilité à la voix de la création : « Il ne faut pas être superstitieux, mais au moment où le vieil archevêque m’imposa les mains, un petit oiseau, sans doute une alouette, s’éleva du maître-autel dans la cathédrale et lança ses trilles en un chant d’allégresse; ce fut pour moi comme une exhortation d’En-Haut : ‘C’est bien ainsi, tu es sur le bon chemin’. »

Les éditions Parole et Silence offrent ainsi à tous un document exceptionnel, le livre de Joseph Ratzinger-Benoît XVI qui est une miséricorde, parce que mise en œuvre de la Nouvelle évangélisation : « Enseigner et apprendre l’amour de Dieu », avec cette préface sans précédent du pape François, signée « Francesco » et en date du 7 mars 2016, suivie d’une introduction du cardinal préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, Gerhard Ludwig Müller.

Le monde perdra la source de la vie

La prière, pour le pape jésuite – contemplatif dans l’action – et pour le théologien bavarois – un géant, dit-il en substance, à l’instar d’un « Léon le Grand, saint et docteur de l’Eglise » – c’est une action décisive pour le cours de l’histoire. Prier c’est choisir la vie. On comprend les conséquences dans un monde où la culture de la mort semble gagner sur tous les terrains. On comprend l’enjeu dans une Eglise que l’Année de la miséricorde veut stimuler sur les chemins d’une évangélisation nouvelle selon le cœur de Jean-Paul II.

« Et ainsi, l’acte de prier véritablement va de pair avec la conscience que, sans la prière, le monde perdra rapidement, non seulement son orientation, mais également l’authentique source de la vie », explique le pape François qui cite ce passage du livre de son prédécesseur: « Car privés de notre lien avec Dieu nous sommes comme des satellites qui sont sortis de leur orbite et se précipitent dans le vide, comme devenus fous, se désagrégeant non seulement eux-mêmes, mais menaçant également les autres». Il commente: « Joseph Ratzinger nous offre ainsi l’une de ses nombreuses et stupéfiantes images disséminées dans ce livre. »

Le pape devenu moine au monastère Mère de l’EgliseMater Ecclesiae – au cœur des jardins du Vatican, par ce geste inédit et héroïque de renoncer à l’exercice du mandat de Pierre, le 11 février 2013, un acte de foi au coeur de l’Année de la foi – et qui est entré dans le silence de la prière à Castelgandolfo, après le coucher du soleil, le 28 février suivant, parle de ce qu’il vit et c’est pour cela que ce qu’il dit touche le cœur et le transforme : en père, il transmet une expérience spirituelle vécue et non une théorie désincarnée. Pour lui, la prière c’est la condition mariale de la maternité de l’Eglise, de sa fécondité surnaturelle.

Le pape François écrit de ce « facteur décisif » : « C’est peut-être surtout depuis le monastère Mater Ecclesiae, dans lequel il s’est retiré, que Benoît XVI continue de témoigner de manière encore plus lumineuse de ce « facteur décisif», de cet intime noyau du ministère sacerdotal que les diacres, les prêtres et les évêques ne doivent jamais oublier : c’est-à-dire que le premier et le plus important service n’est pas de gérer les «affaires courantes», mais de prier pour les autres, sans interruption, corps et âme, exactement comme le fait le pape émérite aujourd’hui : immergé constamment en Dieu, le cœur toujours tourné vers lui, comme un amant qui en chaque instant pense à la personne aimée, quoi qu’il fasse. »

Dans l’avion qui le ramenait de l’Arménie à Rome, le pape François l’a exprimé d’une autre manière : la prière et la sagesse du pape émérite le protègent.

Habiter la bonté de l’autre

Le pape émérite lui a répondu, ce mardi, en disant que c’était le pape François qui le protégeait, lui donnant d’« habiter » sa « bonté » : « Votre bonté, dès le premier moment de l’élection, à chaque moment de ma vie ici me frappe, me porte réellement, intérieurement. Plus que dans les Jardins du Vatican, avec leur beauté, votre bonté est le lieu où j’habite : je me sens protégé. Merci aussi de la parole de remerciement, merci pour tout. Et nous espérons que vous pourrez continuer d’avancer avec nous tous sur ce chemin de la Miséricorde Divine, en montrant la voie de Jésus, vers Jésus, vers Dieu. »

Dans sa préface, le pape François souligne encore que la prière est vitale, « plus que le pain »: « La prière, nous dit Benoît XVI dans cet ouvrage, et il nous en apporte le témoignage, est le facteur décisif : elle est une intercession dont l’Église et le monde – et encore plus en cette période de véritable changement d’époque – ont plus que jamais besoin, comme le pain, plus que le pain. Car prier c’est confier l’Église à Dieu, dans la conscience que l’Église n’est pas nôtre, mais qu’elle est Sienne, et que, précisément pour cela, il ne l’abandonnera pas ; car prier signifie confier le monde et l’humanité à Dieu; la prière est la clef qui ouvre le cœur de Dieu, elle est la seule qui parvient toujours à ramener Dieu en ce monde, et, en même temps, la seule qui parvient toujours à ramener les hommes et le monde à Lui, comme le fils prodigue à son père qui, empli d’amour pour lui, n’attend rien d’autre que de pouvoir l’embrasser de nouveau. Benoît n’oublie pas que la prière est le premier devoir de l’évêque (Ac 6, 4). »

Le « cœur » du ministère ordonné

Et il vient, lundi, de fêter le 24e anniversaire de son ordination épiscopale, en la cathédrale de Buenos Aires, le 27 juin 1992, par le cardinal Antonio Quarracino (1923-1998). Premier devoir de l’évêque, premier devoir du prêtre, la prière ce n’est pas s’acquitter simplement d’une promesse, si grande et si riche soit-elle – et pas seulement la messe et les sacrements, mais le bréviaire, la liturgie des Heures –. Mais c’est tout simplement et naturellement le « cœur » du ministère ordonné. C’est en effet aux prêtres que le pape François s’adresse au moment où il a voulu célébrer l’anniversaire d’ordination sacerdotale du pape émérite de façon solennelle, en présence de la délégation du Phanar venue pour la fête de Pierre et Paul. Et il rappelle que Benoît XVI est le pape de l’Année sacerdotale.

Le pape François écrit aux prêtres, dont il vient de célébrer le jubilé, en ce mois de juin consacré au Coeur du Christ, comme l’un d’eux, pour fortifier ses frères: « Chers confrères! Je me permets de dire que si l’un d’entre vous devait un jour avoir des doutes sur le cœur de son ministère, sur son sens, sur son utilité, s’il devait un jour avoir des doutes sur ce que les hommes attendent véritablement de nous, qu’il médite en profondeur les pages qui nous sont offertes : car ils attendent de nous avant tout ce que vous trouverez décrit dans ce livre, ce dont il apporte le témoignage : que nous leur apportions Jésus-Christ et que nous les conduisions à Lui, à l’eau fraîche et vive, dont ils ont soif plus que de toute autre chose, que lui seul peut offrir et qu’aucun succédané ne pourra jamais remplacer ; que nous les conduisions au bonheur entier et véritable quand plus rien ne les satisfait ; que nous les portions à réaliser leur rêve le plus intime, que personne ne pourra jamais leur promettre d’exaucer ! »

Redevenir soi-même

Mais le pape François souligne aussi que l’initiative de ce livre publié en français par les Larivé est due à un autre laïc, le professeur Pierluca Azzaro, en même temps qu’à un prêtre, le père Carlos Granados. Le pape remercie avec eux le père Giuseppe Costa, directeur de la Libreria Editrice Vaticana qui publie l’Opera omnia de Joseph Ratzinger (en français, chez Parole et Silence également). Il souligne donc que le volume qu’il présente s’adresse aux prêtres et aux fidèles laïcs. Et il conclut sur le récit que fait Joseph Ratzinger-Benoît XVI de la conversion d’un laïc, l’écrivain français – on sait combien le pape émérite est francophile – Julien Green (1900-1998), dans le ton que le pape François a voulu donner au Jubilé extraordinaire de la miséricorde – notamment grâce aux missionnaires de la miséricorde – et que nous reproduisons, avec l’aimable autorisation des éditeurs. Se « convertir », sous l’effet de la bienfaisante miséricorde divine, c’est « redevenir soi-même ».
Le pape François finit là-dessus et il n’ajoute rien: «Ces derniers jours je suis tombé sur le récit que fait de sa conversion le grand écrivain français Julien Green. Il dit que, au cours de la période entre les deux guerres, il vivait à la manière d’un homme d’aujourd’hui : se permettant tout ce qu’il voulait, étant enchaîné aux plaisirs opposés à Dieu, si bien que, par certains côtés, il trouvait insupportable cette même vie. En quête d’une voie de sortie, il multiplie des relations. Il consulte le grand historien Henry Bremond, mais la conversation demeure purement académique, évoquant des subtilités théoriques qui ne l’aident en rien. Il noue des liens avec les deux grands philosophes qu’étaient les époux Jacques et Raïssa Maritain. Raïssa Maritain l’adresse à un dominicain polonais. Celui-ci l’accueille, et Julien Green lui décrit de nouveau sa vie dispersée. Le prêtre lui dit. «Et vous êtes d’accord de vivre ainsi?». «Non, naturellement ! », répond-il. «Vous voulez donc changer votre vie ; vous vous repentez ? ». « Oui » dit Green. Après quoi survient quelque chose d’inattendu. Le prêtre lui dit : «Agenouillez-vous! Ego te absolvo a peccatis tuis – je t’absous». Et Green écrit : «Alors je pris conscience que, au fond, j’avais toujours attendu quelqu’un qui me dirait : agenouillez-vous, je t’absous. Je retournai chez moi : je n’étais pas un autre homme, non, j’étais finalement redevenu moi-même ».

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