Thérèse d'Avila Vie, Chapitre 23, extraits
Avec l'Ordre du Carmel qui se prépare au V° centenaire de la naissance de Sainte Thérèse de Jésus (d'Avila), nous vous proposons une découverte pas à pas de son autobiographie.
C'est désormais un nouveau livre, je veux dire une nouvelle vie. Celle qui s’est écoulée jusqu’à l’époque où j’ai suspendu mon récit, était ma vie: celle qui commence avec ces états d'oraison que je viens d'exposer, est, je puis le dire, la vie de Dieu en moi; car autrement, je le reconnais, il m'aurait été impossible de m'affranchir en si peu de temps des habitudes d'une vie si imparfaite. Loué soit à jamais le Seigneur de m'avoir ainsi délivrée de moi-même!
A peine avais-je commencé à fuir les dangers et à consacrer plus de temps à l'oraison, que Notre Seigneur m'ouvrit les trésors de ses grâces; il n'attendait, ce semble, que mon consentement à les recevoir. Il me donnait très ordinairement l'oraison de quiétude, et souvent celle d'union, qui durait un bon moment…
A peine avais-je commencé à fuir les dangers et à consacrer plus de temps à l'oraison, que Notre Seigneur m'ouvrit les trésors de ses grâces; il n'attendait, ce semble, que mon consentement à les recevoir. Il me donnait très ordinairement l'oraison de quiétude, et souvent celle d'union, qui durait un bon moment…
Enfin, après bien des combats intérieurs et bien des craintes, je me décidai à parler à un homme spirituel pour savoir ce qu'était mon oraison, et en recevoir lumière si j'étais dans l'erreur, fermement résolue de faire tout ce que je pourrais pour ne pas offenser Dieu...
On me parla d'un ecclésiastique instruit qui était en cette ville, et dont le Seigneur commençait à faire connaître au public la vertu et la vie édifiante. Je fis en sorte de le voir, par le moyen d'un saint gentilhomme qui habite cette même ville. Ce gentilhomme est marié, mais d'une éminente vertu et d'une vie exemplaire…
Avec une sainte résolution, il me traita comme une âme forte, telle que j'aurais dû être d'après mon oraison, et demanda de moi d'éviter toute offense envers Dieu. Voyant en lui cette détermination immédiate au sujet des petites fautes, et ne me sentant pas la force d'en venir là si promptement, je m'en affligeai. Il paraissait prendre la réforme de mon âme comme une affaire qu'il pouvait terminer du premier coup, et je sentais qu'elle demandait beaucoup plus de ménagement. Enfin je reconnus que le remède à mes maux ne se trouvait pas dans les moyens qu'il proposait; ils ne convenaient qu'à une âme plus parfaite que la mienne. Dieu, il est vrai, m'avait accordé de grandes grâces; mais pour les vertus et la mortification, j'avais à peine fait le premier pas. J'en suis convaincue, si je n'avais point eu d'autre directeur, jamais je n'aurais progressé. Ne faisant pas, et ne croyant pouvoir faire ce qu'il me conseillait, j'en éprouvais une douleur à perdre tout espoir et à tout abandonner.
J'admire quelquefois comment cet ecclésiastique ayant une grâce particulière pour initier les âmes à la piété, Dieu permit qu'il ne comprît pas la mienne, et refusât de se charger de ma conduite. Je vois maintenant que tout fut pour mon plus grand bien; c'est ainsi que je devais connaître, et avoir pour guides de mon âme, des hommes aussi saints que ceux de la compagnie de Jésus.
Dès ce jour, il fut convenu avec ce saint gentilhomme qu'il viendrait de temps en temps me voir... Dès les premiers entretiens, il s'appliqua à relever mon courage; il me disait que je ne devais point m'imaginer pouvoir en un jour me séparer de tout, mais que Dieu opérerait peu à peu ce détachement; il le savait par expérience, ayant lui-même passé plusieurs années sans pouvoir se vaincre dans des choses pourtant fort légères… …ce qui m'a sauvée, c'est qu'on a su me guérir; on a eu assez d'humilité et de charité pour me suivre de près, assez de patience pour me supporter, quand je ne me corrigeais pas de tous mes défauts.
Ce gentilhomme procédait avec discrétion, et m'instruisait peu à peu des moyens de vaincre le démon...Il me conseilla de bien réfléchir à tout ce qui se passait dans mon oraison et de le lui faire connaître. C'était là difficulté, parce que je ne savais en nulle manière exprimer ce qu'était mon oraison, Dieu ne m'ayant fait que depuis peu la grâce de le comprendre et de pouvoir le dire. Ce conseil, joint aux craintes que j'avais déjà, me fit tomber dans une profonde affliction, et je répandis beaucoup de larmes…
Je lus des livres dans l'espoir qu'ils m'aideraient à m'expliquer sur mon oraison; dans un traité, qui a pour titre le Chemin de la Montagne, je trouvai, à l'endroit où il est parlé de l'union de l'âme avec Dieu, toutes les marques de ce que j'éprouvais. Dans cet état, disait l'auteur, l'âme ne peut penser à rien; et c'est précisément ce que je disais de moi. Je marquai de plusieurs traits les endroits, et je remis le livre à ce gentilhomme; ce saint ecclésiastique, grand serviteur de Dieu, dont j'ai parlé, et lui, devaient l'examiner et me dire ensuite ce que j'avais à faire…J'étais comme celui qui, au milieu d'un fleuve et près d'être englouti dans les flots, ne voit, de quelque côté que se dirige son effort, qu'un péril plus grand. C'est là une peine très cruelle, et j'en ai eu beaucoup à souffrir de ce genre…
Enfin, le gentilhomme se rendit près de moi profondément peiné, et me déclara qu'ils croyaient que ce qui se passait en moi venait du démon. Ils jugeaient tous les deux que le parti le plus convenable était d'ouvrir mon âme à un père de la compagnie de Jésus…
Cette réponse me remplit d'un tel effroi et d'une peine si vive, que tout ce que je pouvais faire, c’était de répandre des larmes. Etant un jour dans un oratoire, très affligée et ne sachant ce que j'allais devenir, je lus dans un livre que le Seigneur me mit, ce semble, lui-même entre les mains, ces paroles de saint Paul: « Dieu est très fidèle; jamais il ne permet que ceux qui l'aiment soient trompés par le démon (cf. 1 Co 10, 13). » Cela me consola beaucoup. Je commençai à m'occuper de ma confession générale…
Cette réponse me remplit d'un tel effroi et d'une peine si vive, que tout ce que je pouvais faire, c’était de répandre des larmes. Etant un jour dans un oratoire, très affligée et ne sachant ce que j'allais devenir, je lus dans un livre que le Seigneur me mit, ce semble, lui-même entre les mains, ces paroles de saint Paul: « Dieu est très fidèle; jamais il ne permet que ceux qui l'aiment soient trompés par le démon (cf. 1 Co 10, 13). » Cela me consola beaucoup. Je commençai à m'occuper de ma confession générale…
Je fis connaître mon âme tout entière à ce serviteur de Dieu, car il l'était à un haut degré et, avait une rare prudence. Comme il connaissait bien les voies spirituelles, il me donna lumière sur mon état, et il m’encouragea beaucoup. Il me dit que ce qui se passait en moi venait manifestement de l'esprit de Dieu; mais que je devais reprendre mon oraison en sous-œuvre, parce que je ne l'avais pas établie sur un fondement solide, et que je n'avais pas encore commencé à comprendre la mortification, ce qui était si vrai, que le nom même m’en était ce me semble, inconnu. Il ajouta que je devais bien me garder d'abandonner l'oraison, mais au contraire m'efforcer de m'y appliquer de plus en plus puisque Dieu m'y faisait des grâces si particulières; que savais-je si par moi le Seigneur ne voulait pas faire du bien à un grand nombre de personnes?...Cet homme de Dieu me conduisit par des voies telles, qu'il s'opérait, ce me semble, en moi un changement absolu. Oh! que c'est une grande chose que de comprendre une âme! Il me dit de prendre chaque jour pour sujet de mon oraison un mystère de la Passion et d'en tirer mon profit, de ne penser qu'à l'humanité de Notre Seigneur, et quant à ces recueillements et ces douceurs spirituelles, de leur résister de toutes mes forces, sans leur donner entrée, jusqu'à ce qu'il m'ordonnât autre chose. Il me laissa consolée et pleine de courage.
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