Par la Croix vers la lumière,
le P.
Jacques de Jésus.
1/ Naître : un mouvement
jamais fini.
Dans ce petit cimetière, lieu de
silence et de mémoire des frères carmes, rien ne peut distraire ou détourner du
recueillement. Les couleurs d’automne accompagnent les quelques mots de ma
prière et ouvrent un chemin de solitude habitée. Toute vie finira un jour. Nous
sommes en ce temps où l’Église aime célébrer la fête de tous les Saints, la
« ronde des Saints », de
tous celles et ceux qui ont accepté de saisir la main que Dieu leur tendait
pour ouvrir en eux et auprès de leurs proches un espace de vie, de vie
éternelle.
Dépossédés de tout, ils ont
laissé ce « souffle de Dieu »
(Gn 2,7) déposé au matin de leur existence, envahir leur vie. Il faut apprendre
à se dépouiller, à quitter toute volonté propre pour entrer progressivement
dans ce mystère du « laisser faire ». Comment ne pas faire écho à l’invitation
de Jésus adressé à Nicodème : « En
vérité, en vérité, je te le dis, à moins de naître de nouveau, nul ne peut voir
le Royaume de Dieu. » (Jn 3,3).
Parler du P.
Jacques de Jésus, c’est nommer les prérogatives de Dieu dans la vie d’un homme
au caractère bien marqué, à la personnalité affirmée. Il avait ses humeurs et
ses élans d’amour. Il était passionné par ce goût de l’éducation :
permettre à des adolescents de devenir des hommes qui auront la charge, quel
que soit le choix de leur profession, de devenir des humains reflétant un peu
de cet amour et de cette miséricorde que Dieu ne cesse de déverser dans le
tablier de ses disciples d’hier et d’aujourd’hui : « une mesure tassée, débordante, … »
(Lc 11,33). Dieu ne connaît pas de limites, en rien Il n’est pas avare mais
toujours prodigue. Le P. Jacques, en pédagogue qu’il était, disait : « Faisons d’abord une belle œuvre humaine,
Dieu choisira ceux qu’il veut. Au moins nous aurons fait des hommes(…).Le vrai
but de toute éducation humaine est la sainteté…Qu’on ne s’y méprenne pas :
la sainteté, bien mieux que l’art ou le génie, est l’épanouissement de notre
personnalité. Seuls les saints sont vraiment libres. Sainteté et liberté vont
de pair, en effet, et il nous faut en prendre conscience.[1] »
2/ Faire de la Parole de Dieu une compagne
pour la vie.
Lucien Bunel,
ce chrétien, s’est laissé façonner par la Parole de Dieu reçue quotidiennement. « Elle est vivante la Parole de Dieu, énergique
et plus coupante qu’une épée à deux tranchants, elle pénètre au plus profond de
l’âme jusqu’aux jointures et jusqu’aux moelles, elle juge des intentions et des
pensées du cœur, pas une créature n’échappe à ses yeux, tout est nu devant elle. »
(He 4,12-13). Le P. Jacques s’est exposé à la Parole de Dieu, la laissant faire son travail
quotidiennement. Que serait une vie chrétienne sans contact fréquent avec la Parole ? Dès le
commencement de sa vie religieuse, la
Règle du Carmel lui a été remise, l’invitant à « méditer jour et nuit la Loi du Seigneur et à veiller
dans la prière. ».
Le Nouveau
Testament ne l’a jamais quitté depuis le séminaire jusqu’à son ultime
arrestation, abondamment couvert de notes, trace de cette volonté de laisser la Parole résonner en lui et
diriger sa vie. Il s’est laissé habiter par elle, offrant toute son existence à
l’accomplissement de la volonté de Dieu, et cela dans les moindres aléas de la
vie. Rien de ce qui fait notre existence n’est étranger pour Dieu. Tout peut
devenir cette « terre sainte »
foulée aux pieds, comme Moïse en fera l’expérience au buisson ardent (Ex 3). Son
long voyage au pays de la Parole
n’a rien d’un souci d’amasser des connaissances, mais de nourrir son désir
d’aimer son Dieu, et de l’aimer toujours davantage, rencontré dans l’autre
connu ou découvert. « Dieu merci, au
Carmel le seul but que nous poursuivons en étudiant, c’est de connaître mieux
pour aimer davantage. Nous ne considérons pas l’étude comme une fin où l’âme
s’arrête pour y savourer je ne sais quelle satisfaction de curiosité apaisée ou
aiguisée ! L’étude pour nous n’est qu’un moyen, une étape, l’instrument
qui nous sert à démolir l’écran qui nous cache Dieu, et à capter ainsi quelques
rayons passant par les fentes réalisées. » (Lettre du 13/01/1934) et
il poursuit : « Notre livre
principal, essentiel, lu, relu, dégusté lentement et lentement assimilé, c’est
la Bible, et plus particulièrement le Nouveau Testament… »
Nourri par la Parole , le P. Jacques de
Jésus va emprunter un itinéraire qui le conduira au-delà de certaines limites
qu’il s’est donné. Du couvent des carmes d’Avon au camp de Mauthausen, le
religieux a choisi de servir son Maître jour après jour, n’ayant comme seul
bagage que la foi. Elle lui ouvre la certitude que Dieu ne peut l’oublier quels
que soient les péripéties traversées, et malgré l’éternelle question qui accompagne
tout chemin de souffrance : « Mon
Dieu, où es-tu ? », rejoignant en cela la clameur du Christ pendu
au bois de la Croix :
« Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ?» (Mt
27,46).
3/ Gravir la Montagne du Carmel.
Toute vie
renferme ses tentations, ces lieux de résistances où le projet de Dieu et la
volonté de l’homme s’affrontent : l’homme croyant défendre son autonomie
précaire, alors que Dieu lui ouvre un chemin de vie. Le « vieil homme » résiste en lui. Le P.
Jacques notera avec lucidité et courage : « J’ai besoin de la vie religieuse, d’une vie obscure pour soumettre mon
terrible esprit d’indépendance. De plus, j’ai une soif ardente de servir Dieu,
de le posséder infiniment, de m’en repaître, de vivre en une intimité profonde
et constante avec lui. ».
Mais Dieu ne
donnerait-il pas à des êtres fragiles et faibles, marqués par le péché, la
grâce et la force de témoigner de Lui ? C’est toute l’histoire d’un
François d’Assise qui donne un baiser au lépreux, d’un Maximilien Kolbe qui
s’avance pour remplacer le père de famille condamné à une mort atroce. En ce 11
novembre, fête de St Martin, pourquoi ne pas se rappeler de son geste que la
mémoire ne peut effacer : le partage de son vêtement. Et ils sont
nombreux, plus nombreux que nos saints connus, ces hommes et ces femmes de tous
les temps qui ont accueilli la grâce de leur Dieu et qui, libérés de toute
crainte, se sont levés pour être icônes de leur Dieu. Comment ne pas entendre
ce que notre Père Jean de la
Croix notera dans son Cantique
Spirituel B : « Le plus
petit acte de pur amour a plus de prix aux yeux de Dieu, est plus utile à
l’Église, est plus profitable à l’âme que toutes les autres œuvres réunies. ».
5/ « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul. »
(Jn12, 24)
Arrêté le 15
janvier 1944, il passe quelques mois à la prison de Fontainebleau et est
acheminé quelques mois plus tard au camp de Mauthausen le 23 avril. Il donnera
ses dernières forces à soigner les « cœurs
blessés et les corps squelettiques. ». Les témoins de sa vie au camp
de concentration parlent de sa solidarité et de son amour extraordinaire envers
les prisonniers. Calme et maître de lui en toute circonstance, il redonnait à
tous l’espérance. Un détenu déclarera : « Il représentait le respect de l’homme, la dignité. Il était à l’écoute de
tout le monde. Sa présence était la preuve de Dieu vivant. Il a voulu connaître
toutes les douleurs et nous aider à les supporter. Nous n’avons jamais cessé de
tenir haut l’esprit, nous n’avons pas été contaminés par le vent de terreur, de
brutalité, d’ordure qui soufflait dans nos vies quotidiennes, parce que le Père
Jacques était là, près de nous, aidant ceux qui n’en pouvaient plus, relevant
ceux qui tombaient, donnant même son pain à ceux qui avaient faim… »[2]
Un mois après
sa sortie du camp de concentration, et à quelques heures avant de mourir, il
demande : « Pour les derniers
instants qu’on me laisse seul. ». Ainsi voulait-il se préparer à la
rencontre avec son Bien-Aimé, Celui qu’il a servi. Son souhait fut respecté.
Aussi pouvons-nous laisser son message rejoindre notre questionnement :
sur qui repose notre vie ? Ne sommes-nous pas à notre tour appelés à une
renaissance en acceptant de quitter ce qui ne peut que vieillir et laisser
l’eau vive de notre baptême circuler en nous, grâce purifiante ?
Malgré l’épaisseur de la Croix , une lumière surgit
toujours : celle du tombeau de Pâques.
4/ Consentir à accueillir sa
faiblesse.
6/ « Je ne meurs pas, j’entre dans la Vie. » Thérèse de l’Enfant Jésus.
Pourquoi ne
pas reprendre la conclusion du message du P. Camilo Maccise à l’occasion du 50ème
anniversaire de la mort du P. Jacques de Jésus, à l’Ascension 1995 :
« Une phrase du P. Jacques résume son chemin
de contemplation engagée : « Oh ! oui, mon Dieu, m’unir si
profondément à toi dans le silence et le recueillement que je te rayonne
toujours autour de moi ! ». Nous avons là tout un programme de vie
qui nous permettra de réaliser le désir de sainte Thérèse qu’action et
contemplation marchent ensemble en une synthèse harmonieuse :
« Marthe et Marie doivent aller ensemble. » (7èmes Demeures,
4,12).
Dans
un dernier billet laissé à un compagnon de captivité, le P. Jacques de Jésus
notait : « Par la Croix vers la lumière !
Celui qui fait la vérité, viens à la lumière. »
« Regardée dans la foi, la Croix de Jésus-Christ aboutit à la lumière de la Résurrection parce
qu’elle a été le chemin du plus grand amour. »[3]
Fr. Didier Joseph,ocd
[1] Père Jacques de Jésus,
« Pour l’éducation des enfants de Dieu », La Vie carmélitaine, DDB 1935, p 65-66
[2] « Une contemplation
engagée » Le message du P. Jacques de Jésus, O.C.D. Réflexions du P.
Camilo Maccise, Préposé Général O.C.D. pour le cinquantième anniversaire de sa
mort.
[3] L’itinéraire spirituel du P. Jacques, Par la Croix vers la lumière,
D. STERCKX p.115
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