mardi 25 janvier 2011

Saint Paul, Rémy Jobard, 8

« Sur les pas du plus audacieuxdes missionnaires … » (8)

Paul à Rome

Printemps 61 : après un voyage mouvementé, le centurion Julius remet les prisonniers dont il avait la charge à la garde prétorienne La lettre du procurateur de Judée concernant Paul vaut à celui-ci un traitement de faveur. Il bénéficie de la « custodia libera », une sorte d’emprisonnement sous contrôle. Luc précise en effet sans autre commentaire « Paul avait obtenu l’autorisation d’avoir un domicile personnel avec un soldat pour le garder ». (Ac, 28,16) Cette garde à vue va durer deux années. Paul prend d’abord contact avec les notables juifs auxquels il expose son cas sans les convaincre tous et il continue à proclamer le Règne de Dieu à « Tous ceux qui venaient le trouver », ajoute Luc qui arrête là son récit, nous laissant avec de nombreuses questions : quelle était l’importance de la communauté chrétienne ? Qui regroupait-elle : des juifs ouverts à l’Évangile, des Romains, des Grecs, des esclaves ? Paul a-t-il rencontré Pierre qui devait être lui aussi à Rome ? Les deux piliers de la Jeune Église se connaissaient et s’estimaient comme le montre la 2ème Épître de Pierre (3,15-16). Pas de réponses à ces interrogations, mais quelques indices cependant …

Des lettres et des visites :

Comme il l’a toujours fait, Paul écrit ou plutôt dicte des lettres, n’ajoutant que quelques mots de sa main (Col, 4,18) peut-être parce qu’il est un « ambassadeur enchaîné de l’Évangile » (Ep, 6,20). Et, de fait, Sénèque explique dans sa correspondance qu’une chaîne reliait ordinairement le poignet droit du détenu au poignet gauche du geôlier en cas de « custodia libera ». C’est de cette époque en effet que datent les Épîtres aux Colossiens, aux Éphésiens et le billet à Philémon qui nous livrent quelques précieux renseignements.
C’est à la suite de la visite d’un certain Epaphras que Paul a baptisé autrefois à Éphèse et qui a organisé des communautés chrétiennes en Asie Mineure qu’une lettre est rédigée pour les Colossiens, afin de leur rappeler la saine doctrine, car ils ont tendance à s’égarer. L’Epître est confiée à deux messagers: Tychique, un compagnon de longue date et Onésime. Ce dernier est un ancien esclave qui s’est enfui de chez son maître, Philémon, un riche citoyen de Colosses. Le prisonnier aimerait garder près de lui le jeune homme, devenu chrétien, auquel il s’est attaché, mais il estime qu’il doit le restituer à son ancien maître à qui il demande de l’accueillir « comme un frère bien-aimé » (Phm,16)
Il est probable que l’Épître aux Éphésiens a été expédiée en même temps que le courrier pour Colosses, puisque c’est le même Tychique qui est chargé du message.

En fait il s’agit sans doute d’une lettre circulaire destinée à différentes communautés et présentant un exposé didactique de la foi chrétienne. Dans ces lettres, il est question aussi de quelques compagnons qui sont à Rome avec Paul, en particulier Timothée, Luc et Marc, bien connus par ailleurs.

Encore un temps de liberté :

à la fin de l’Épître à Philémon, Paul évoque un voyage possible à Colosses (Phm,22) ; c’est que quelque chose se prépare. Et il semble bien qu’au début de l’année 63 Paul ait été libéré au bout de quatre ans de détention préventive ( 2 à Césarée et 2 à Rome). Personne en effet ne s’est présenté devant le tribunal de l’empereur pour porter plainte contre Paul. La justice romaine, très respectueuse des formes ne peut donc maintenir une accusation alors qu’il n’y a pas de plaignant. Un magistrat va alors rendre ce qu’on appelle aujourd’hui une ordonnance de non-lieu,
Que fait Paul une fois libre ? On est réduit à des hypothèses car les seules sources sont des textes apocryphes et des traditions plus ou moins légendaires. Il est probable qu’en cette année 63, il ait réalisé un vieux rêve : aller en Espagne. De nombreux commentateurs tiennent pour plausible qu’il ait séjourné à Tarragone, capitale de cette province occidentale de l’empire. Puis il se serait rendu aussi en Crête où il installera comme évêque son fidèle disciple Tite, puis en Asie Mineure, à Éphèse où la jeune Église sera confiée à Timothée et peut-être à Troas puisqu’il y a oublié son manteau et laissé des documents (2 Tm, 4,13). Enfin dans l’Epître à Tite, on peut lire les phrases suivantes : « Efforce-toi de me rejoindre à Nicopolis. C’est là en effet que j’ai décidé de passer l’hiver » (Tt, 3,12) Nicopolis se trouvait sur la côte ouest de la Grèce, offrant deux avantages : un climat doux et une position privilégiée sur une voie de passage. Les spécialistes pensent que Paul parle ici de l’hiver 65-66.

La situation à Rome :

Paul a bien fait de quitter l’Italie dès qu’il a pu le faire en 63. C’est en effet en 64 qu’un gigantesque incendie détruit une bonne partie de la ville de Rome. Or Néron trouve un bon moyen de détourner la fureur des Romains en accusant les chrétiens d’avoir mis le feu à la ville et il déclenche une horrible persécution. Beaucoup d’amis de Paul sont parmi les victimes et si Pierre a réussi a se cacher, puis à quitter la ville, il aurait été retrouvé, condamné et crucifié la tête en bas par les sbires de Néron, dans les jours qui ont suivis l’incendie…
La vie n’est donc pas facile à Rome pour les quelques chrétiens qui ont survécu et jusqu’à la mort de Néron en 68, ils doivent se montrer très discrets. C’est pourtant dans cette ville que Paul décide de revenir au printemps 66, conscient des risques qu’il court. Et, de fait, il va être dénoncé, arrêté et emprisonné probablement au début de l’été 66.

« Le temps du départ est arrivé » (2 Tm, 4,6)
C’est ainsi que s’exprime Paul lui-même dans ce qui est sans doute son dernier écrit : la 2ème Epître à Timothée. Ses conditions de détention sont beaucoup plus sévères qu’en 61. Il est « enchaîné comme un malfaiteur » (2Tm, 2,9) et se sent bien seul. C’est un appel émouvant qu’il lance à Timothée (2Tm, 4,9-10) car beaucoup l’ont laissé tomber. Seul Luc est encore là, « avec moi », précise Paul, donc peut-être en prison lui aussi, on ne peut l’affirmer…

Que reproche-t-on à Paul exactement ? De propager des doctrines subversives et de porter atteinte à la sûreté de l’État ? Plusieurs chefs d’accusation sont possibles. Mais Paul est citoyen romain et proclame son innocence. L’instruction sera conforme au droit et sans doute longue, mais l’inculpé ne se fait pas d’illusion et la 2ème lettre à Timothée est le message d’un homme qui sait que ses jours sont comptés.

Et, de fait, que peut-on attendre de Néron, cet empereur dont l’esprit vacille ? Est-ce devant lui que Paul a comparu ou devant Aelius qui assurait l’intérim du gouvernement et appliquait rigoureusement les consignes d’en haut ? Nous n’avons pas d’autres documents que des apocryphes tardifs, mais la tradition admet que Paul a été condamné et aussitôt exécuté « pendant la 14ème année du règne de Néron », donc entre juillet 67 et juin 68. Paul a été décapité en dehors de la ville dans un vallon verdoyant proche de la route d’Ostie, là où s’élève aujourd’hui la Trappe des Trois Fontaines, et il a été inhumé non loin de là en un lieu où se sont succédé au cours des siècles différentes églises. La basilique actuelle St Paul hors les murs a été restaurée au début du XIXème siècle, à la suite d’un incendie. A cette occasion des fouilles archéologiques ont permis de découvrir une plaque de marbre portant l’inscription PAULO APOSTOLO MART. C’est juste au-dessus de ce qui est considéré comme le tombeau de l’apôtre qu’a été édifié le somptueux autel de la basilique actuelle

L’EVANGILE DE PAUL

On peut sans hésiter employer une telle expression car le terme même d’évangile, du mot grec signifiant « Bonne Nouvelle » est employé 60 fois dans les écrits de Paul. Il y a toutefois une grande différence entre les Épîtres et les quatre évangiles rédigés postérieurement. Il s’agit bien dans les deux cas du message du Christ, mais tandis que Marc (entre 65 et 70), Matthieu et Luc (un peu plus tard) et Jean (à la fin du Ier siècle) témoignent des faits et gestes de Jésus pendant les années de sa vie terrestre, Paul parle très peu du Jésus de l’histoire. Il le dit lui-même, il n’a pas « connu le Christ à la manière humaine » (2 Co, 5,16), mais il est pénétré du mystère pascal. Rabbin devenu théologien, il voit dans la mort et la résurrection de Jésus le plein accomplissement des Écritures et c’est ce qu’il s’efforce de montrer à ses auditeurs et à ses lecteurs. Pour conclure, laissons la parole au P. Alain Marchadour, exégète contemporain, qui souligne que nous avons la chance d’avoir deux voies complémentaires pour aller à Jésus « L’une, attestée par les quatre évangiles, raconte pas à pas le chemin de Jésus sur la terre, depuis sa naissance jusqu’à son Ascension. L’autre, celle de Paul, se place au cœur du mystère : « car j’ai décidé de ne rien savoir parmi vous, sinon Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié » ( 1 Co, 2,2).

Rémy Jobard

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