Carmel de Saint-Maur
33° dimanche B
Homélie du Père Laurent Yadjoma
Les choses de la fin des temps
Notre religion, le christianisme, reste depuis le
commencement jusqu’à la fin des temps une religion de la fin des temps. Ce qui
n’est pas un appendice ; toute la prédication chrétienne, toute la vie
chrétienne et l’Eglise même dans son ensemble, sont caractérisées par leur
orientation vers la fin dernière. Avec la résurrection de notre Seigneur Jésus,
le monde entier et toute l’histoire de hommes sont entrés dans leur phase
finale, dans la plénitude des temps. Les promesses de Dieu sont accomplies et
les cieux nouveaux et la terre nouvelle sont déjà inaugurés. En Jésus, Dieu a
déjà dit sa parole définitive ; en nous l’Esprit est déjà déposé, semence
des réalités futures.
Comprendre cela veut dire que le chrétien, celui qui
appartient au Christ, est un homme du futur. Ce qui ne veut pas du tout dire
que le chrétien soit l’homme qui « attend le futur » qui lui sera concédé
après la mort ; mais plutôt celui qui, dès aujourd’hui construit son
lendemain en Dieu. Dans un certain sens, après le Christ, tout est déjà achevé,
accompli : nous n’attendons plus rien de substantiellement nouveau. Et
puis d’autre part, il est vrai que tout reste à faire. Il s’agit de faire
« faire la Pâque » au monde, de « faire passer » toutes les
sphères de la création dans la sphère du Christ, lequel à la fin des temps
récapitulera à lui toutes les choses. C’est cela, le grand travail qui occupe
et remplit le temps de l’Eglise. Et ce travail est loin d’être accompli. Outre
un engagement personnel et social, nous devons déployer sur la terre un
engagement que nous pourrions appeler universel, cosmique.
Et comme le péché d’Adam n’a pas eu seulement des
conséquences pour l’homme mais aussi a eu des conséquences pour le cosmos, la
nature et dans la matière, devenue opaque, qui cache Dieu au lieu de le
manifester, devenu lourde, tirant vers le bas, au lieu d’élever, et rebelle à
l’homme qui désormais mangera à la sueur de son front, aussi la résurrection a
touché tout l’univers. Elle a sauvé tout l’homme, de même que notre corps
destiné à la résurrection et à la gloire ensemble avec l’esprit. Solidaire avec
le premier Adam dans sa chute, toute la création est appelée à participer aussi
à la victoire du second Adam.
Saint Paul voit la nature tendue vers le salut et sent ses
gémissements, semblables à une femme qui accouche. Toutes les choses tendent
vers le Christ qui récapitule en lui toutes choses. Sauveur de l’homme, Christ
est aussi sauveur de l’univers, de la nature. Dans cet effort, dans cette
tension, le chrétien est appelé à jouer un rôle irremplaçable. C’est le
chrétien qui avec son travail, son sacrifice et sa prière rendra humain ce
monde et préparera cette transformation de l’univers dans les cieux nouveaux et
sur la terre nouvelle et inaugurera le règne définitif de Dieu. Les chrétiens
doivent être dans le monde ce que l’âme est dans le corps.
Le chrétien est un pèlerin sur cette terre. Il n’en est pas
le citoyen, mais quelqu’un en marche vers sa vraie patrie. Il ne va pas
considérer cette terre comme sa demeure définitive, mais comme une étape du
voyage. Pour cela, il ne construit pas sur cette terre une maison en pierre
solide, mais une tente, comme le passager qui fait escale au désert.
Une interprétation unilatérale et injuste des réalités
humaines a induit beaucoup d’hommes de notre temps en erreur, qui regardent
avec méfiance la religion chrétienne comme si c’était l’ennemi du monde, de la vie,
du progrès, de l’engagement humain ; une religion d’évasion, du
désengagement, du renoncement passif et vil. Au contraire, l’engagement du
chrétien dans le monde est différent : le chrétien n’est pas un évadé,
mais un engagé, comme une personne déterminée pour la réussite et le salut du
monde. Le chrétien sait que l’univers entier a un principe unique de
consistance, de mouvement, et de fin dernière : le Christ. « Parce
que par Lui toutes choses ont été faites et en Lui trouvent leur
consistance » dit l’Apôtre Paul aux Colossiens (1,16-18). De cette
manière, le Christ, le grand rassembleur, travaille dans l’intime des choses et
des âmes pour tout sanctifier, tout unir, et tout consacrer à la gloire de
Dieu. Le chrétien est volontairement engagé pour cette gigantesque entreprise,
à sa place, en son temps, avec ses propres ressources. Il ne travaille pas
seul : il collabore. Il travaille avec courage, parce que le travail est
dur ; il travaille avec foi parce que l’engagement est mystérieux et sans
commune mesure avec les forces humaines ; il travaille pour faire grandir
l’univers et faire émerger la nouvelle création ; un travail douloureux,
plein d’espérance, un travail qui n’est cependant pas une agonie, mais une
naissance. Amen
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