Où l'on
traite de la fondation de Saint- Joseph de Notre-Dame de la Rue, à Palencia, en
l'année 1580, jour du roi David.
1 Je rentrais de la fondation de Villanueva
de la Jara lorsque le Supérieur m'envoya à Valladolid sur la demande de l'Évêque
de Palencia, Don Alvaro de Mendoza, qui avait autorisé et soutenu la fondation
du premier de nos monastères, Saint Joseph d'Avila, et qui favorise toujours
notre Ordre en toutes choses. Lorsqu'il quitta 1'évêché d'Avila pour celui de
Palencia, Notre-Seigneur lui inspira la volonté de faire en cette ville un
autre monastère de ce saint Ordre. A mon arrivée à Valladolid j'étais tombée si
gravement malade qu'on crut que j'allais mourir...
2 Il y avait près d'un an qu'on s'efforçait
de fonder ce monastère, ainsi que celui de Burgos; je ne m'y étais pas opposée
au début, mais j'y voyais maintenant beaucoup d'inconvénients, bien que je ne
sois venue à Valladolid que dans ce but. J'ignore si mon refus provenait de ma
maladie et de la faiblesse où j'étais, ou du démon qui voulait faire obstacle
au bien qui s'ensuivit. En vérité, des traits comme celui-ci me stupéfient, me
blessent et je me plains souvent à Notre-Seigneur de la façon excessive dont la
pauvre âme participe aux maladies du corps; il semble qu'elle doive observer
ses lois d'après les exigences et les choses qu'il lui suggère.
3 Cela me semble l'une des grandes épreuves
et misères de la vie, lorsqu'une haute spiritualité ne domine pas le corps.
Avoir mal et subir de grandes douleurs, ça n'est rien, quoi qu'on endure, si
l'âme est éveillée, car elle loue Dieu, et considère que tout vient de sa main.
Mais, d'une part, souffrir, et d'autre part rester dans l'inaction, voilà qui
est terrible, en particulier lorsqu'il s'agit d'une âme dont le seul désir a
toujours été de ne se reposer ni intérieurement ni extérieurement, mais d'être
tout entière au service de son grand Dieu. Elle n'a d'autre remède en ce cas
que la patience, reconnaître sa misère, et s'abandonner à la volonté de Dieu,
afin qu'il use d'elle pour ce qu'il voudra, et comme il le voudra. Il en était
ainsi de moi...
4 Vint à passer par cette ville un Père de
la Compagnie de Jésus, le P. Ripalda, grand serviteur de Dieu, ... Il me dit de
n'y renoncer sous aucun prétexte...
10 Nous étions cinq religieuses en me
comptant, ainsi qu'une compagne qui me suit depuis longtemps, une converse, si
grande servante de Dieu et de si bon conseil qu'elle m'est de plus de secours
que d'autres qui sont de chœur . Nous dormîmes peu cette nuit-là, bien que,
comme je l'ai dit, la route, par la pluie, ait été bien fatigante.
11 Je fus très heureuse que la fondation ait
lieu le jour où l'on récite l'office du roi David, dont je suis fervente. Ce
matin même je fis prévenir l'illustrissime Évêque, qui ignorait encore mon
arrivée. II vint immédiatement, avec la grande charité qu'il nous a toujours
témoignée. Il nous promit tout le pain nécessaire et commanda au Proviseur de
nous pourvoir de beaucoup de choses...
13 Il est à Palencia une maison semblable à
un ermitage consacré à Notre-Dame, sous le nom de Notre-Dame de la Rue. Il est
très vénéré dans toute la région et dans la ville, les gens y accourent en
foule. Sa Seigneurie et nos amis furent tous d'avis que nous serions bien dans le
voisinage de cette église. Elle ne comportait pas de maison, mais il y en avait
deux adjointes, qui nous suffiraient avec 1'église, si nous les achetions. Cela
dépendait du chapitre et de quelques-uns des membres de la confrérie; on
engagea donc les pourparlers...
27 Je ne
voudrais pas manquer de beaucoup louer la charité que j'ai trouvée à Palencia
en particulier et en général. En vérité, elle m'a semblé digne de l'Église
primitive, et du moins peu courante dans le monde actuel; lorsqu'ils virent que
nous n'avions pas de revenus, et qu'ils devraient nous nourrir, non seulement
ils ne s'opposèrent pas à la fondation mais ils déclarèrent que Dieu leur
accordait ainsi une très grande faveur. Et à la lumière du Seigneur, ils
disaient vrai: quand il ne s'agirait que d'une église de plus où poser le Très
Saint-Sacrement, c'est beaucoup.
29 Lorsque la maison fut prête pour
l'arrivée des religieuses, l'Évêque voulut que cela se fît en grande pompe;
donc un jour de l'octave du Très Saint-Sacrement, il vint lui-même de
Valladolid, le chapitre se joignit aux Ordres et à presque tous les habitants;
beaucoup de musique...
30 Dieu permit que pendant mon séjour à
Palencia ait lieu la séparation de Chaussés et Déchaux en deux Provinces; c'est
tout ce que nous souhaitions pour notre paix et notre tranquillité. On apporta
de Rome, sur la demande de notre roi catholique Don Philippe, un très copieux
bref sur cette question, et Sa Majesté nous favorisa dans ce dénouement comme
elle l'avait fait au début. On tint chapitre à Alcala...Le P. Jérôme Gracian de
la Mère de Dieu fut élu Provincial.
31 Ces Pères écriront ailleurs comment cela
s'est passé, je n'ai pas à en parler. Je le mentionne, puisque Notre-Seigneur
conclut cette chose si importante pour l'honneur et la gloire de sa glorieuse
Mère alors que j'étais à Palencia: c'est son Ordre, elle est Notre-Dame et
Patronne. J'en éprouvai une des plus grandes joies et contentements que j'aie
reçus en cette vie, car les peines, les persécutions, les souffrances subies
depuis plus de vingt-cinq ans seraient longues à conter, et Notre-Seigneur est
seul à les connaître. La fin de tout cela emplit mon cœur d'une allégresse que
seuls pourraient comprendre ceux qui auraient connu mes soucis, ainsi que mon
désir de voir tout le monde louer Notre-Seigneur et mettre sous sa garde notre
saint roi Don Philippe, dont Dieu s'était servi pour amener un si heureux
dénouement; le démon avait usé de tant de ruses que sans le roi tout
s'écroulait.
32 Nous sommes maintenant tous en paix,
Chaussés et Déchaux; personne ne nous empêche plus de servir Notre-Seigneur.
Donc, mes frères et sœurs, hâtez-vous de servir Sa Majesté qui a si bien exaucé
vos prières. Que ceux qui ont été les témoins oculaires de tous ces événements
contemplent les grâces qu'Elle nous a faites, les épreuves et tourments dont
Elle nous a tirés; et que ceux qui viendront et trouveront tout aplani ne
négligent aucune occasion de grandir en perfection pour l'amour de
Notre-Seigneur. Qu'on ne dise pas d'eux ce qu'on dit de certains Ordres, dont
on ne loue que les origines; nous commençons maintenant, qu'ils s'efforcent de
toujours commencer, et d'aller du bien au meilleur...
33 Pour
l'amour de Notre-Seigneur, je vous demande de vous rappeler que tout passe, la
grâce que nous a faite Notre-Seigneur en nous amenant dans cet ordre, et le
châtiment que subirait quiconque introduirait un relâchement; gardez les yeux
fixés sur nos origines la caste de ces saints prophètes. Que de saints nous
avons au ciel qui ont porté cet habit! Ayons la sainte présomption, avec la
faveur de Dieu, de leur ressembler. La bataille sera brève, mes sœurs, son but
est éternel. Négligeons ces choses, qui ne sont rien en elles-mêmes, à
l'exception de celles qui nous rapprochent de cette fin qui est sans fin, pour
mieux l'aimer et le mieux servir, car il vit à présent et toujours. Amen. Amen.
Rendons grâces à Dieu.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire