Carmel de Saint-Maur - P. Maurice Boisson
C’est la mode des sondages d’opinion, des cotes de
popularité - qui sont en hausse ou en baisse. Ce n’est pas nouveau, ce désir de
savoir ce qu’on pense de nous, si on a la cote ! Et ce n’est pas seulement
vrai en politique.
Jésus lui-même aurait-il cédé à ce procédé ? Se
préoccuperait-il de l’image qu’on a de lui, de sa cote ? Cet Evangile
pourrait nous y faire croire, d’autant plus que Jésus se rendait bien compte
qu’il n’était pas accueilli chez les siens, dira saint Jean (cf. Jean 1,11),
qu’il était dans un pays occupé. L’histoire récente de notre pays peut nous
aider à comprendre. On attendait un libérateur de l’occupant. L’histoire et la
religion de ce pays annonçaient, attendaient, désignaient ce libérateur. Et
Jésus semblait être celui-là. Mais quelles méprises et mal donne sur sa mission
et sur sa personne. « N’est-il pas
le fils du charpentier ? …» (Matthieu 13,55 et Marc 6,3).
Une fois de plus, l’Evangile nous invite à aller au-delà des
apparences, des « on dit que », « il paraît que ». Une
carte d’identité, un signe extérieur, ne suffisent pas pour rendre compte de
qui nous sommes. On n’a jamais fini de connaître quelqu’un. Le grand danger,
c’est de croire qu’on connaît : si on connaît, on n’a plus rien à
connaître, c’est bouclé, l’étiquette est mise. On range la boîte, on ferme le
livre, on désactive le désir de connaître.
« Pour la foule,
qui suis-je ? » - demande Jésus à ses amis (Luc 9,18). Il ne dit
pas : « Qu’est-ce qu’on pense de mon dernier miracle, de ma dernière
homélie, de cette rencontre avec cette pécheresse chez le pharisien, qui a fait
tant de bruit ? »
« Je suis qui pour les gens ? » Personne
n’est réductible à ce qu’il fait, à ce qu’il dit. Et les réponses transmises
par les amis ne sont guère rassurantes pour Jésus : on l’identifie à des
figures du passé – Elie ou un prophète d’autrefois – lui qui vient pour faire
du neuf dans la religion, dans les relations, dans la place de l’argent, du
pouvoir, dans l’idée qu’on se fait de Dieu.
Aujourd’hui, l’éventail des réponses à cette question est
très vaste : « Je suis qui pour les gens ? » Un sage pour
les Bouddhistes, un prophète pour les Musulmans, un révolutionnaire, un
rêveur, un ami des pauvres, un personnage inventé, Dieu qui est vivant parmi
nous, etc.
Mais Jésus ne se contente pas de demander à ses amis ce qui
se dit sur lui. « Et vous, que
dites-vous ? Pour vous – pour toi, Pierre, Jacques et les autres, pour
toi, Maurice, Daniel, Odile, Michèle et chacun de nous – je suis
qui ? » (cf. Luc 9,20)
« Vous me connaissez un peu plus que ces gens. »
Ce serait intéressant, à un moment ou à un autre, de prendre quelques minutes
pour répondre. « Pour toi, je suis qui ? »
Il ne s’agit pas d’un sondage d’opinion, mais d’une démarche
qui engage : la rencontre de Quelqu’un. Pas quoi, mais qui. Il ne s’agit
plus d’une définition mais d’une relation. Pas une définition d’idée, de
formule toute faite, de cote, mais d’une relation à Quelqu’un, qui se dit par
ce qu’on vit avec lui, de lui.
Pierre, parlant souvent un peu trop vite, répond :
« Tu es le Messie de Dieu »
(Luc 9,20).
« C’est évident ! Bien sûr, tu viens nous libérer
de ces Romains et rétablir un roi sur ce pays, comme Dieu le veut ! »
Une fois de plus, Pierre tape à côté. Jésus défend de dire
cela (cf. Luc 9,21). Pourquoi ?
Un triomphateur ? – Un serviteur.
Un libérateur acclamé sur les Champs Elysées ? – Un
pauvre homme en pleurs au Mont des Oliviers, et pendu au Golgotha.
Et ceux qui voudront croire en lui prendront le même chemin,
ajoute Jésus : « Celui qui veut
marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix chaque jour
et qu’il me suive. » (Luc 9,23)
Il ne dit pas « qu’il prenne ma croix », mais « sa
croix ». C’est déjà pas rien ! La croix que chacun a de diverses
manières. Il ne dit pas de porter toutes les croix du monde, comme certains
croient ou aiment le faire, mais sa
croix.
Cette petite conversation bien actuelle, à l’écart, avec ses
amis, sous forme de sondage, nous met en garde contre la tentation de voir
l’autre comme je voudrais qu’il soit, contre la tentation de nous fabriquer un
Dieu, un Jésus, à notre mesure, selon nos
sentiments, à notre image.
C’est l’inverse : cette conversation nous invite à nous
redire que, chrétiens, nous sommes du
Christ, de Quelqu’un de vivant – « qui
suis-je ? » - et pas d’abord d’une doctrine, ou d’idées qui en
découlent, de comportement aussi. Ce qui est premier, c’est de connaître, de
fréquenter, d’aimer Celui en qui nous croyons.
Alors, la question « Pour
vous, qui suis-je ? » pourrait devenir : « Pour vous,
pour toi, Qui il est ? – celui qui inspire ta vie.
Frère Roger de Taizé disait : « Ne parle de Jésus
qu’à celui qui te le demande, mais vis de telle manière qu’on te le
demande. »
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