Carmel de Saint-Maur - P. Maurice Boisson
« Ne pleure
pas ! » (Luc 7,17) Chacun de nous a dit et s’est entendu dire ces
trois mots ; paroles de consolation, de proximité, de partage, de désir
d’apaiser une épreuve, un chagrin ; ou aussi de communion à une grande
joie.
« Ne pleure
pas ! » On le dit aux enfants comme aux vieux parents, aux
proches très chers comme à l’inconnu. Ces mots viennent d’un cœur touché par la
peine de l’autre et voudraient pouvoir agir, aider, secourir, sans d’ailleurs
pouvoir le faire, la plupart du temps, tellement l’accès au mystère intérieur
de l’autre suppose un infini respect et une immense délicatesse.
Compassion : pâtir
avec - partager de l’intérieur la peine.
« Ne pleure
pas ! » Ce sont les mots de Dieu, répétés tout au long de la
Bible : « Console-toi, mon peuple. » C’est la brève parole de
Jésus - que nous venons d’entendre - à une pauvre veuve allant enterrer son
jeune fils.
C’est aussi ce que dit Elie, dans la première lecture, à une
femme dont le fils vient de mourir : « Donne-moi
ton fils ! » (1 Rois 17,19)
Ces quelques mots disent toute la tendresse de Dieu pour
nous - pour tous - son désir et son action pour redonner vie, rendre la vie,
redonner souffle. Dieu nous communique cette compassion pour qu’à notre tour
nous redonnions vie, souffle, moral, sens.
Contrairement à d’autres situations dans l’Evangile, celle -
par exemple - de l’officier romain (Luc 7,1-10), celle de Lazare (Jean 11,1-44),
on n’a rien demandé à Jésus et on ne lui demandait rien. Il se rendait avec ses
amis dans une petite ville voisine de Nazareth, lorsqu’il croise, en entrant
dans la ville, un cortège funèbre : le jeune fils unique d’une veuve.
C’est la rencontre inattendue.
Et Jésus est là, comme sur le chemin d’Emmaüs ou au bord du
lac. Dieu nous croise dans nos quotidiens, sur les chemins qui sont les nôtres,
quels qu’ils soient.
Dans cette rencontre, Jésus est saisi de pitié pour cette
femme. Le mot grec dit : « il est dévoré aux entrailles ». Il
s’arrête, comme il s’arrête pour l’aveugle au bord du chemin. Pas de discours,
ni de théories : « Oh, vous savez, c’est la volonté de Dieu. » -
« Qu’est-ce que vous en savez ? » - « Et il sera bien
heureux… »
Trois mots de Jésus : « Ne pleure pas ! »
Un geste interdit par la religion : il touche la
civière, ce qui rendait impur. Il touche comme il touche le lépreux - dans
l’illégalité - comme il touche les yeux de l’aveugle, les oreilles du sourd, la
langue du muet, le cœur de Marie Madeleine. Il communique sa vie, son énergie,
son souffle, comme - au premier matin du monde - il a touché de son doigt -
selon le célèbre tableau - le doigt du premier être humain.
« Jeune homme, je te l’ordonne, lève-toi. » (Luc 7,14) Jésus,
comme Elie, ne se contente pas de consolations d’usage. Une deuxième parole qui
fait sortir de l’enfermement - comme à Lazare : « Lazare, viens dehors ! » (Jean 11, 43) - sortir de
ce qui t’enferme dans ton tombeau.
Jésus a pouvoir sur la mort, pas seulement physique - il le
manifestera à notre résurrection – mais sur toutes les morts, les morsures et
les blessures de la vie, qui peuvent nous empêtrer.
« Regarde, ton
fils est vivant ! » (1 Rois 18,22), dit Elie. « Lève-toi », dit Jésus.
« Alors le mort
se redressa, s’assit et se mit à parler. Et Jésus le rendit à sa mère. » (Luc
7,15)
Il rend la vie à tous les deux. La vie, le souffle, sont
redonnés.
Ils s’étaient croisés par hasard à l’entrée d’une
ville : les uns accompagnant la mort, les autres accompagnant la vie. Les
uns et les autres reconnaissent que Dieu est là, sur nos routes, quelles
qu’elles soient, si nous savons nous arrêter.
Il nous arrive de nous croiser sans nous rencontrer. Ce peut
être vrai dans un village, une famille, peut-être dans un monastère!
On est sûr que Dieu croise nos chemins, s’arrête : « Ne pleure pas ! » - « Lève-toi. » -
« Revis ! » - « Tu es vivant. » - « Reprends ton
souffle, remets-toi à parler. » Dieu a visité son peuple : c’est la
conclusion de cette rencontre. Non pas un petit « coucou », un petit
« à plus ! ».
Laissons-nous toucher par la tendresse infinie de Dieu, au
plus profond de nous-mêmes, pour que ceux que nous croisons se sentent aussi
touchés, relevés, par la Compassion que Dieu met dans nos cœurs.
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