mardi 24 septembre 2013

150 ans du Carmel de Lons-le-Saunier/Saint-Maur, Homélie de Mgr Vincent Jordy

150 ans du Carmel de Lons-le-Saunier/Saint-Maur,
14 Septembre 2013

Homélie de Mgr Vincent Jordy

Mes sœurs, chers amis,

En cette fête de la Croix Glorieuse, nous avons la joie de célébrer les 150 ans de ce monastère du Carmel. Par cette célébration, nous voulons tout à la fois rendre grâce pour l’œuvre passée, la fidélité de Dieu et la fidélité des sœurs, nombreuses, qui depuis la fondation ont vécu et prié dans ce Carmel, nous voulons nous réjouir des fruits que vous portez aujourd’hui et nous voulons aussi renouveler notre espérance pour les temps qui viennent, le futur.
 
1-  Avant toutes choses, nous voulons rendre grâce à Dieu pour le chemin parcouru.
 
Il est important de le rappeler, le passé, les racines, la mémoire, sont constitutives de la tradition du Carmel dont vous vivez.

Le Carmel est né en Orient il y a près de huit siècles, quand des hommes ont voulu vivre le mystère de la solitude et de l’écoute de la Parole de Dieu sur le mont Carmel, dans le sillage du prophète Elie. A la force et à la radicalité du prophète, les premiers carmes vont unir le mystère de la douceur de la mère de Dieu, la Vierge Marie, comme modèle de celle qui écoute la Parole, l’a accueillie dans son sein afin de produire du fruit et de collaborer ainsi à l’œuvre du salut.

Ce mystère du Carmel, fondé sur Elie et sur Marie, va traverser la Méditerranée dès le XIIème siècle et se déployer en Occident avant de se féminiser au XVème siècle et d’être réformé en profondeur un siècle plus tard par Thérèse d’Avila, pour revenir à l’intuition fondamentale du silence et de la solitude pour s’unir à Dieu dans l’amour et produire un fruit apostolique.

C’est ce mystère du Carmel que vous portez, mes sœurs, dans ce monastère. Vous êtes ici parce que vous avez, certainement de bien des manières, selon votre origine, votre histoire, perçu l’appel de Dieu à venir sur cette terre du Carmel pour y chercher et y vivre l’union au Christ.

Cette union au Christ, dans l’amour, est un chemin balisé par les maîtres du Carmel, comme votre père saint Jean de la Croix qui nous éclaire à travers les siècles. Il vous invite à suivre l’amour crucifié, livré pour nous ; il vous invite à vous laisser dépouiller à sa suite, à vous laisser aimer pour porter du fruit.
 
2-  En ce sens, si nous rendons grâce pour le passé, la fidélité à la tradition du Carmel dans ce monastère et de ces maîtres spirituels, nous nous réjouissons de ce que vous apportez aujourd’hui à l’Eglise et au monde.

En effet, le Cardinal Jean Daniélou écrivait dans un livre que chaque chrétien devrait pouvoir lire ou relire : « Il est certain que l’athéisme provient en partie de la difficulté à trouver Dieu dans le monde actuel. Les hommes étaient habitués à trouver Dieu à travers le monde de la nature. Le monde technique leur bouche le chemin vers Dieu. » Que dirait-il aujourd’hui ?

Et le Père Henri de Lubac écrivait, dans « Le drame de l’humanisme athée » que « ce mystère de l’homme coupé de ses sources et qui ne se comprend plus » est le cœur du mystère du drame de l’Occident.

Il est vrai que nombre de nos contemporains aujourd’hui - nous en connaissons certainement - ici, en Occident, expérimentent un mode de vie qui ne les satisfait pas ou plus. Ils éprouvent surtout un manque, un mal-être : faut-il rappeler qu’un pays comme le nôtre, où nous avons tout de même un niveau de vie très satisfaisant, a aussi le malheureux privilège d’être le champion du monde de l’utilisation d’anti-dépresseurs, d’anxiolytiques, et du nombre de personnes tentées de mettre fin à leurs jours ? Cela traduit bien le mal-être de l’homme.

« L’homme passe infiniment l’homme », disait Pascal. Encore faut-il rappeler à l’homme qu’il a une dimension éternelle, encore faut-il lui rappeler qu’il a une dimension infinie qui a besoin d’être éclairée, nourrie, aidée, enrichie. Encore faut-il alors des lieux où cet infini, ce mystère du Dieu créateur et sauveur soit honoré, rappelé, mis en lumière comme une lanterne dans la nuit.


N’est-ce pas, d’une certaine manière, le rôle de votre communauté, de votre monastère ? Vous êtes, au cœur de ce désert de la sécheresse du monde, un puits où les hommes et les femmes de notre temps peuvent trouver une source vive. Par votre vie donnée, par votre témoignage discret mais fidèle, vous êtes d’une certaine manière la « visibilité » de la présence de Dieu dans ce monde pour les hommes qui le cherchent. Vous pouvez témoigner à des hommes et des femmes parfois blessés dans leur cœur, dans leur vie, que Dieu lui-même a partagé la condition humaine jusque dans la souffrance, jusque dans la solitude dramatique et la mort, et qu’ainsi ce Dieu, qui est l’Amour, est un Amour qui peut rejoindre tout homme sans limites et sans conditions. Si le Fils de l’homme a été élevé de terre, comme nous le rappelait saint Jean il y a un instant, vous faites signe aujourd’hui afin que ce Fils de l’homme puisse être trouvé et aimé.

3- Mais si nous pouvons rendre grâce pour votre fidélité au Carmel - le passé -, si nous nous réjouissons du fruit que vous portez aujourd’hui en étant signe pour les hommes de notre temps, nous voulons aussi, en ce jour, être renouvelés avec vous dans l’espérance que donne votre vocation.

Car si vous portez du fruit par le signe du Christ qu’est votre communauté, il faut pourtant bien le dire, votre vocation vous conduit surtout à vivre de la foi. Nombreux sont ceux et celles qui, de tous temps mais plus encore aujourd’hui, ne comprennent pas votre vocation. Ils veulent bien admettre que vous portez du fruit, comme je le soulignais, par l’accueil que vous faites, le signe que vous êtes, mais d’une manière plus générale nombreux sont ceux qui pensent qu’il y a là comme une vie - pardonnez-moi mes sœurs - un peu perdue. Un prêtre ou une religieuse apostolique, se dit-on, font des choses, ils visitent les malades, ils font du catéchisme, ils servent un peu à quelque chose. Mais une contemplative, à quoi cela sert-il ? Peut-être justement à rien, à part pour Dieu.

Il faut alors rappeler qu’au-delà de l’efficacité visible, cette efficacité tangible et mesurable, technicienne, celle que notre monde aime tellement et souhaite, nous croyons, nous chrétiens, à une fécondité spirituelle, surnaturelle, et pourquoi ne pas utiliser le mot ici, à une fécondité mystique. Et le premier à éclairer cette fécondité mystérieuse, cachée, n’est-ce pas Jésus lui-même ? Qui pouvait comprendre, il y a deux mille ans, au pied de la croix, en regardant le Rabbi de Nazareth cloué sur le bois de la croix, qui pouvait imaginer, sinon avec les lumières de la foi, que Dieu se donnait dans cet homme agonisant, que Dieu accomplissait en lui les Ecritures, que Dieu se réconciliait l’humanité en lui et qu’ainsi il opérait le salut du monde ? Qui l’aurait cru ?

Ainsi, si vous me permettez une comparaison, un peu glaciale vous le verrez, le mystère de votre vocation est un peu comme un iceberg : la partie émergée que l’on voit, que l’on mesure, n’est pas rien, mais elle n’est pas grand chose à côté de la partie immergée qui échappe aux yeux, aux mesures et aux évaluations. L’essentiel, vos cœurs, sont comme immergés en Dieu, et par le don de vous-même vous faites circuler l’amour dans le corps de l’Eglise du ciel et de la terre. Dom Gozier, théologien contemplatif bénédictin, aimait dire : « Les contemplatifs, dans le Corps de l’Eglise, sont comme les artères cachées et silencieuses qui font circuler le sang divin du cœur de Dieu jusqu’aux membres ».

Oui, par votre prière cachée, vous irriguez l’Eglise mystérieusement ; par votre prière cachée vous nous dites l’importance de la gratuité, du détachement de sa propre fécondité ; par votre prière et votre vie cachées, vous nous rappelez l’essentiel, notre but qui est au ciel, non sur la terre, où là seulement nous verrons vraiment le fruit que nous aurons porté en vérité, au-delà des louanges des hommes.

Mes sœurs, soyons donc dans la joie, dans l’action de grâce en ce jour : pour votre fidélité et celle de Dieu, pour le signe vivant du Christ que vous êtes et surtout pour l’horizon éternel que vous nous rappelez, car lui seul ne passera pas.
Amen.

+Vincent Jordy

Evêque de Saint-Claude

Aucun commentaire: