Fête de
saint Jean de la Croix
14
décembre 2018 au Carmel de Saint-Maur
Homélie de Mgr Jordy
Lc 14, 25-33
Mes sœurs, chers amis,
Nous fêtons aujourd'hui
saint Jean de la Croix, saint mais aussi Docteur de l'Eglise, Docteur mystique
plus précisément. Cela signifie que son enseignement et sa vie sont donnés à
toute l'Eglise comme modèle, comme source de sagesse.
Or
nous célébrons cette année saint Jean de la Croix dans un contexte particulier,
tant au plan international que national.
Depuis plusieurs mois déjà,
nous expérimentons une "déstabilisation" du monde. Au plan
international, avec l'élection de l'actuel président américain au tempérament
fort et à l'humeur imprévisible ; avec le vote majoritaire des Anglais pour se
couper en partie de l'Europe, avec des élections aux parfums étranges dans
l'Est de l'Europe, mais aussi en Italie. La question migratoire est – elle
aussi – venue complexifier les relations entre les peuples avec tout à la fois des
signes de solidarité, de compassion, mais aussi, nous le savons bien, des
replis et des peurs.
Notre pays, la France,
n'est pas épargné par cette instabilité. Si aujourd'hui notre Président de la
République est en position délicate, difficile, il ne faut pas oublier qu'il a
d'abord bénéficié d'une déstabilisation complète des partis traditionnels
littéralement réduits à néant par les dernières élections. Aujourd'hui, sur nos
ronds-points, ce sont les Gilets Jaunes qui manifestent et sont les symptômes
d'un profond malaise social face à une mondialisation ambiguë avec des effets
particulièrement injustes.
Enfin, notre Eglise
elle-même n'a pas été épargnée par les déstabilisations à la suite des révélations
douloureuses des Etats-Unis cet été, d'Allemagne et de certains diocèses de
France concernant des abus de pouvoir et des agressions contre des fidèles,
particulièrement les plus jeunes et les plus fragiles.
Or face à des moments
difficiles, dans des moments de crise, de désolation, la Tradition spirituelle
de notre Eglise, la sagesse des saints – dont celle d'Ignace de Loyola est un
élément essentiel – nous éclaire sur la conduite à tenir. Dans la désolation,
nous enseigne la sagesse spirituelle, il s'agit de demeurer ferme, déterminé, constant
d'une part. Et d'autre part, il s'agit surtout, non pas de changer de
résolutions, mais peut-être de remettre en question nos manières de faire, par
une conversion plus profonde : il s'agit de donner plus de temps à Dieu, dans
l'oraison, dans les exercices spirituels, dans la recherche de sa volonté, et
de compter sur sa grâce. Oui, toute la tradition spirituelle nous apprend que
dans les moments de désolation, il faut demeurer ferme, se convertir et compter
sur Dieu ; c'est-à-dire revenir à l'essentiel, aux fondements.
C'est
d'ailleurs très exactement ce que nous rappelle l'évangile de cette fête de
saint Jean de la Croix.
Jésus parle dans l'évangile
de saint Luc de la condition de disciple, ce disciple, voire ce
"disciple-missionnaire", cher au pape François qui nous rappelle que tout
baptisé est invité à vivre à la suite de Jésus et à vivre en témoin de Jésus.
Or, vient nous rappeler
Jésus aujourd'hui, être disciple c'est avant tout rentrer dans un amour
préférentiel pour lui. Et cet amour préférentiel n'entre pas en concurrence
avec les autres formes d'amour – l'amitié, l'amour familial… -, puisque si nous
aimons de manière préférentielle Jésus, nous devenons alors capables d'aimer
encore mieux ceux qui nous sont proches, et nous vérifions par cet amour-là que
l'amour de Dieu atteint en nous sa perfection.
Pour vivre cette condition
de disciple, pour aimer ainsi, Jésus nous donne ensuite deux points
d'attention. D'abord il nous invite à "porter notre croix",
c'est-à-dire à partager sa condition, lui qui, le premier, a porté la Croix.
Mais que veut dire au juste "porter sa croix" ? Il ne s'agit pas,
bien entendu, de porter une vraie croix sur ses épaules ; porter sa croix,
c'est porter les contraintes, les exigences de la vie. C'est en fait consentir
à renoncer à maîtriser sa vie tout seul pour entrer dans la volonté d'un autre,
dans la volonté du Père du Ciel. Cela signifie que la croix n'est pas d'abord
celle que nous avons choisie (nos pénitences, nos privations, nos quelques
efforts) ; la croix que nous choisissons est encore pleine de nous-même, de
notre propre volonté… La croix, c'est plutôt
celle qui vient par les événements de la vie et que nous avons à accueillir,
non pas dans le but de souffrir, mais dans le but d'aimer mieux, même si cela
passe parfois par des détachements qui font souffrir (toute personne honnête
sait qu'aimer, c'est souffrir ; car dès qu'on commence à aimer, commence alors
la peur de perdre l'autre, qui est la première des souffrances…). On ne choisit
donc pas sa croix, on l'accueille chaque jour en consentant à la volonté de
Dieu par notre devoir d'état, par les conditions de l'existence pour peu
qu'elles ne soient pas contre la foi, contre une juste éthique et une juste vie
spirituelle. Car consentir à la volonté de Dieu, ce n'est pas se résigner.
C'est bien pourquoi porter
sa croix ne suppose pas une obéissance servile ; au contraire – et c'est le
deuxième point que Jésus nous éclaire aujourd'hui -, cela invite à réfléchir, à
relire sa vie pour discerner la volonté de Dieu. C'est bien pourquoi Jésus
poursuit en invitant à s'asseoir et à réfléchir.
Etre disciple, c'est
prendre sa croix, c'est-à-dire suivre la volonté de Dieu, mais c'est aussi réfléchir
à cette volonté de Dieu. Il faut penser sa vie, pour éviter ensuite d'en panser
les plaies. Il est important pour cela de veiller aux fondations, comme Jésus
nous le dit aujourd'hui même. Au Carmel, les fondations, vous le savez bien,
c'est le silence, la solitude, qui vont favoriser l'oraison pour vivre de
l'union à Dieu, dont la vérité se vérifie alors dans l'exercice de la charité
fraternelle. Ces fondations sont essentielles ; si elles ne sont pas solides,
le vent et la pluie viendront, et tout s'effondrera. Ces fondations, il faut
les visiter sans cesse, les revivifier sans cesse, sans quoi tout finira par
s'effondrer.
Ce
mystère, saint Jean de la Croix l'a vécu tout au long de sa vie. Il a été
disciple, il a pris sa croix et il a réfléchi sa vie.
Il en a d'ailleurs produit
les plus belles pages de la théologie spirituelle de notre Eglise d'occident.
Il a porté sa croix tout au
long de son existence. Né dans une famille aristocratique mais désargentée, dès
son enfance il va connaître des moments difficiles et délicats. Puis il
entreprendra avec sainte Thérèse d'Avila de re-consolider les fondations du
Carmel qui s'effritaient dans l'Espagne d'alors. Il participera activement à la
réforme du Carmel de son temps, devenu mondain et agité.
Il le fera en prenant sa
croix activement par une vie d'intense ascèse, pour signifier son amour au
Christ ; il prendra surtout sa croix passivement en consentant aux événements douloureux
de sa vie, en étant arrêté par les frères de son Ordre, mis en prison par eux à
Tolède, où il passera par les mystères de la nuit obscure, qui s'ouvrira sur
les pages les plus lumineuses de sa vie spirituelle, de son union intime à Dieu.
C'est ainsi qu'il a renouvelé le Carmel, c'est ainsi qu'il a revivifié ses
fondations, celles de l'oraison, de la solitude, de ce silence nécessaire pour
rencontrer Dieu au plus profond de son âme, afin de vivre de la charité la plus
profonde avec ceux qui nous sont donnés dans la vie fraternelle.
Demandons, mes sœurs, aujourd'hui,
pour nous tous dans nos vies, pour ceux et celles qui suivent la grâce du
Carmel, demandons pour votre communauté la grâce de son intercession. Qu'il nous
donne, qu'il vous donne d'être toujours plus fidèles à votre vocation pour
porter du fruit en abondance.
Amen.
+ Vincent Jordy
Evêque de Saint-Claude
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