Père Michel Martin
Voici que le semeur est sorti pour semer…
Son histoire partagée avec la terre des hommes - notre terre -,
elle commence par sa première grande sortie, lorsque sur le chaos originel où
plane son Esprit, il dit « lumière ! ». C’est sa première sortie
mais qui sera désormais perpétuelle, jusqu’à la fin des temps.
Dès le matin du monde il sort par une première parole et depuis il
n’en finit pas de sortir, parce qu’il aime sortir… il aime aller avec les
hommes. D’ailleurs, on l’appelle Emmanuel,
qui en hébreu signifie Dieu avec nous
(Isaïe 7,14). Il est l’amour. Et
quand on aime quelqu’un, on sort avec lui, avec elle.
Sa deuxième grande sortie, il ne l’a pas faite seul. C’est lorsqu’il
a envoyé Moïse pour sortir son peuple bien aimé de l’esclavage en Egypte (Exode
3,10) et il marchait devant (Psaume 68,8).
Lorsque certains ont voulu le faire rentrer à la maison, il est
sorti de ses gonds. Le premier à qui il a refusé catégoriquement, c’est son
serviteur bien aimé David. Il lui a dit qu’il n’avait pas besoin de temple et préférait
vivre dehors avec eux sous la tente (2 Samuel 7).
Sa troisième grande sortie, c’est lorsqu’il a envoyé son Fils :
« Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné
vers Dieu, et le Verbe était Dieu… Et le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous et
nous avons vu sa gloire, cette gloire qu’il tient du Père. » (Jean 1)
Voici que le
semeur est sorti pour semer… On pourrait alors maintenant parler des
grains qu’il a semés… On pourrait parler des différents terrains, des
oiseaux, du soleil, des pierres, des ronces… Eh bien non, pour une fois restons
sur cette sortie de Dieu… sur laquelle François nous invite fortement à méditer.
Dans « La joie de l’Evangile », il a cinq paragraphes qu’il faut
avoir entendu au moins en fois dans sa vie de chrétien (n° 20-24) sous le
titre : « Une Église en sortie ». Comme disent les jeunes « c’est trop
bon ! »
Et
St Jean confirme : « nous avons entendu, nous avons vu de nos yeux,
nous avons contemplé, nos mains ont touché le Verbe de vie, car la Vie s'est
manifestée, nous l'avons vue, nous en
rendons témoignage et nous vous annonçons cette Vie éternelle, qui était
tournée vers le Père et qui nous est apparue » (1 Jean 1)
Après sa mort sur la croix, on pensait que c’était fini, mais,
lorsque les femmes ont trouvé son tombeau vide, que se sont-elles entendu dire ?...
« Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts, il n’est pas ici, il
est sorti ! Il est sorti, comme il l’avait dit » (Luc 24,6-7).
20. Dans la Parole de Dieu apparaît
constamment ce dynamisme de “la sortie” que Dieu veut provoquer chez les
croyants. Abraham accepta l’appel à partir vers une terre nouvelle. Moïse
écouta l’appel de Dieu : « Va, je t’envoie » et fit sortir le peuple vers la
terre promise. À Jérémie il dit : « Vers tous ceux à qui je t’enverrai, tu iras
». Aujourd’hui, dans cet “ allez ” de
Jésus, sont présents les scénarios et les défis toujours nouveaux de la mission
évangélisatrice de l’Église, et nous sommes tous appelés à cette nouvelle
“sortie” missionnaire. Tout chrétien
et toute communauté discernera quel est le chemin que le Seigneur demande, mais
nous sommes tous invités à accepter cet appel : sortir de son propre confort et
avoir le courage de rejoindre toutes les périphéries qui ont besoin de la
lumière de l’Évangile.
La
joie de l’Évangile qui remplit la vie de la communauté des disciples est une
joie missionnaire. Les soixante-dix disciples en font l’expérience, eux qui
reviennent de la mission pleins de joie. Jésus la vit, lui qui exulte de joie
dans l’Esprit Saint et loue le Père parce que sa révélation rejoint les pauvres
et les plus petits. Les premiers qui se convertissent la ressentent, remplis
d’admiration, en écoutant la prédication des Apôtres « chacun dans sa propre
langue » à la Pentecôte. Cette joie est
un signe que l’Évangile a été annoncé et donne du fruit. Mais elle a toujours
la dynamique de l’exode et du don, du fait de sortir de soi, de marcher et de
semer toujours de nouveau, toujours plus loin. Le Seigneur dit : « Allons ailleurs, dans les bourgs voisins, afin que
j’y prêche aussi, car c’est pour cela que je suis sorti ». Quand la semence a
été semée en un lieu, il ne s’attarde pas là pour expliquer davantage ou pour
faire d’autres signes, au contraire l’Esprit le conduit à partir vers d’autres
villages.
La
parole a en soi un potentiel que nous ne pouvons pas prévoir. L’Évangile parle
d’une semence qui, une fois semée, croît d’elle-même, y compris quand
l’agriculteur dort. L’Église doit accepter cette liberté insaisissable de la
Parole, qui est efficace à sa manière, et sous des formes très diverses, telles
qu’en nous échappant elle dépasse souvent nos prévisions et bouleverse nos
schémas.
L’intimité
de l’Église avec Jésus est une intimité itinérante, et la communion « se
présente essentiellement comme communion missionnaire ». Fidèle au modèle du
maître, il est vital qu’aujourd’hui l’Église sorte pour annoncer l’Évangile à
tous, en tous lieux, en toutes occasions, sans hésitation, sans répulsion et
sans peur. La joie de l’Évangile est pour tout le peuple, personne ne peut en
être exclu. C’est ainsi que l’ange l’annonce aux pasteurs de Bethléem : «
Soyez sans crainte, car voici que je vous annonce une grande joie qui sera
celle de tout le peuple ». L’Apocalypse parle d’« une Bonne
Nouvelle éternelle à annoncer à ceux qui demeurent sur la terre, à toute
nation, race, langue et peuple ».
L’Église « en sortie » est la
communauté des disciples missionnaires qui prennent l’initiative, qui s’impliquent,
qui accompagnent, qui fructifient et qui fêtent. « Prendre l’initiative
» : veuillez m’excuser pour ce néologisme. La
communauté évangélisatrice expérimente que le Seigneur a pris l’initiative, il
l’a précédée dans l’amour, et en raison de cela, elle sait aller de l’avant,
elle sait prendre l’initiative sans crainte, aller à la rencontre, chercher
ceux qui sont loin et arriver aux croisées des chemins pour inviter les exclus.
Pour avoir expérimenté la miséricorde du Père et sa force de diffusion, elle
vit un désir inépuisable d’offrir la miséricorde. Osons un peu plus prendre
l’initiative ! En conséquence, l’Église sait “s’impliquer”. Jésus a lavé
les pieds de ses disciples. Le Seigneur s’implique et implique les siens, en se
mettant à genoux devant les autres pour les laver. Mais tout de suite après il
dit à ses disciples : « Heureux êtes-vous, si vous le faites ». La communauté
évangélisatrice, par ses œuvres et ses gestes, se met dans la vie quotidienne
des autres, elle raccourcit les distances, elle s’abaisse jusqu’à l’humiliation
si c’est nécessaire, et assume la vie humaine, touchant la chair souffrante du
Christ dans le peuple. Les évangélisateurs ont ainsi “l’odeur des brebis” et
celles-ci écoutent leur voix. Ensuite, la communauté évangélisatrice se dispose
à “accompagner”. Elle accompagne l’humanité en tous ses processus, aussi durs
et prolongés qu’ils puissent être. Elle connaît les longues attentes et la
patience apostolique. L’évangélisation a beaucoup de patience, et elle évite de
ne pas tenir compte des limites. Fidèle au don du Seigneur, elle sait aussi
“fructifier”. La communauté évangélisatrice est toujours attentive aux fruits,
parce que le Seigneur la veut féconde. Il prend soin du grain et ne perd pas la
paix à cause de l’ivraie. Le semeur,
quand il voit poindre l’ivraie parmi le grain n’a pas de réactions plaintives
ni alarmistes. Il trouve le moyen pour faire en sorte que la Parole s’incarne
dans une situation concrète et donne des fruits de vie nouvelle, bien
qu’apparemment ceux-ci soient imparfaits et inachevés. Le disciple sait offrir
sa vie entière et la jouer jusqu’au martyre comme témoignage de Jésus-Christ ;
son rêve n’est pas d’avoir beaucoup d’ennemis, mais plutôt que la Parole soit
accueillie et manifeste sa puissance libératrice et rénovatrice. Enfin, la
communauté évangélisatrice, joyeuse, sait toujours “fêter”. Elle célèbre et
fête chaque petite victoire, chaque pas en avant dans l’évangélisation.
L’évangélisation joyeuse se fait beauté dans la liturgie, dans l’exigence quotidienne
de faire progresser le bien. L’Église évangélise et s’évangélise elle-même par
la beauté de la liturgie, laquelle est aussi célébration de l’activité
évangélisatrice et source d’une impulsion renouvelée à se donner.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire