Père M. Boisson - Carmel de Saint-Maur
« Ils passèrent la nuit sans rien prendre » (Jean
21,3). Pierre, Nathanaël, Thomas et les autres…
Bernard, qui pendant trois mois n’arrive pas à s’en sortir
dans son entreprise et ses affaires : un coup de téléphone d’un client lui
indique que ça peut repartir.
Michèle et Jean qui rament avec leurs deux ados difficiles,
se découragent : au cours d’une sortie le dialogue reprend.
Marie ne causait plus à sa voisine depuis l’été
dernier : celle-ci lui propose d’aller chercher sa petite à l’école.
Pierre, Jean, eux, nous et les autres… « Ils passèrent
la nuit sans rien prendre. » La nuit… Au lever du jour, un inconnu est là,
il leur indique un endroit où la pêche sera bonne. C’est l’expérience de
l’absence, de la nuit, de l’hiver moral, spirituel, de la fatigue, de l’échec.
On ne sait plus très bien où jeter le filet, à quel saint se vouer. Ca ne mord
pas ! Pourtant on a ramé, on a essayé, on a cherché. A la pêche ils
n’avaient plus la pêche!
Et le jour - la fin de la nuit - se lève, c’est l’expérience
de la Présence, d’abord menue. Quelqu’un est là, on ne le reconnaît pas. Comme
ceux qui marchaient tout tristes vers une certaine auberge, ils sentent, après
coup, une présence qu’ils ne peuvent pas nommer. Un inconnu.
Celui qui commence à deviner, c’est celui qui voit avec les
yeux de l’amour : le disciple que Jésus aimait – Jean. « C’est le
Seigneur ! » (Jean 21,7) Ca ne peut être que lui (qu’elle), ça ne
peut être que le Seigneur qui se fait reconnaître avec les yeux du cœur. Comme
Jean, comme Thomas, Pierre, Bernard, Marie et les amis, il nous arrive de reconnaître
- après coup souvent - qu’on n’était pas tout seul à ramer dans une traversée
difficile. Quelqu’un est là sur nos rivages.
Livrés à leurs propres forces, ces pros de la pêche ne
prennent rien. Ils doivent leur réussite à un autre. On est, avec cet Evangile,
au plus quotidien de nos vies et au plus profond de notre foi. A certains
moments, une présence intime, qui peut se manifester par les autres, nous
indique un endroit où jeter à nouveau le filet et nous donne la force de le
faire. Croyons à la présence du Ressuscité, non pas dans l’extraordinaire, mais
au plus intime de nous-mêmes, dans le plus quotidien de nos vies. Même si
apparemment cette présence peut rester inconnue.
En débarquant, bredouilles, sur nos rivages, qui est-ce qui
nous attend ? Pas des discours, ni des homélies : quelqu’un qui a
allumé un feu de braise, avec du poisson posé dessus et du pain. « Venez
déjeuner » (Jean 21,12). Quoi de plus humain ? Le Ressuscité les
invite, nous invite, à refaire nos forces après la nuit. Il se fait reconnaître
- comme à l’auberge - au pain partagé, donné, reçu, et à la chaleur de sa
présence et de sa parole qui réchauffe le cœur. Il leur donne le pain et le
poisson. Quelle sollicitude, quelle amitié, quelle présence, celle du
Ressuscité ! Pas l’ombre d’un reproche à ses amis lâcheurs. « Venez
déjeuner. » « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? Oui, Seigneur,
je t’aime, tu le sais » (Jean 21,16).
Après la nuit, au lever du jour, la confiance est retrouvée
et redonnée dans la rencontre et la présence. Nouveau départ. Jésus n’a pas
dit : « Pierre, ce fanfaron, ce m’as-tu-vu, fais le malin...mais Pierre, m’aimes-tu ? Alors veille sur mes
amis, conduis-les à moi, affermis leur foi. » Pierre n’a plus d’illusion
sur lui-même. Il peut - avec ses blessures - compter sur la fidélité du
Ressuscité, qui lui dit, qui nous dit : « Je t’aime quand même. Tu
peux à nouveau jeter le filet. Suis-moi. »
Que serions-nous sans nos blessures, sans nos faiblesses? Ne
sont-elles pas nécessaires pour briser la carapace de notre suffisance, comme
pour Pierre, Thomas ; pour nous rendre vulnérables, poreux à la tendresse
du Père, comme aux besoins de nos frères et sœurs. « Ils passèrent la nuit
sans rien prendre. » Au lever du jour, le Christ ressuscité est là. « Venez
déjeuner. » Pierre, Bernard, Myriam, Chantale, Yves, Maurice et les
autres. « M’aimes-tu ? »
Heureux sommes-nous de reconnaître sa présence au plus
quotidien de nos existences. « C’est le Seigneur. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire