Père Guillaume , ocd – Carmel de Saint-Maur
En admirant les oiseaux et les fleurs, le Seigneur nous
invite à croire en sa Providence.
Croire en Dieu ce n'est pas seulement croire en une cause
explicative du monde mais en sa présence, son dessein d'amour et sa
pourvoyance: «tout concourt au bien de ceux qui l'aiment
». Croire en Dieu c'est compter sur lui et
sur lui seul, comme nous l'avons chanté dans
le psaume. Là est notre combat spirituel. «
Hommes de peu de foi! » nous stimule Jésus. C'était
le combat des prophètes. Elie reprochait à Israël de claudiquer, c'est-à-dire
de s'appuyer tantôt sur Dieu tantôt sur Baal. Nous
aussi sommes un peu comme des hommes qui porteraient ceinture et bretelle: « on
ne sait jamais ». Non, croire c'est faire un saut dans le vide, sans filet, ou plutôt avec Dieu comme seul filet. Interrogeons-nous: dans nos choix et nos manières de vivre, d'agir et de réagir, quels sont nos points d'appuis? «Tout cela les païens le
recherchent ». En quoi notre foi motive, anime, spécifie notre vie?
Mais attention foi en la Providence n'est pas
providentialisme c'est-à-dire démission de nos responsabilités ou naïveté que
ce soit par peur, fainéantise ou manque de foi en les dons que Dieu nous donne.
Nous ne sommes pas des oiseaux ni des fleurs. L'invitation à la vigilance ou la
béatitude de ceux qui ont faim de la justice attestent qu'il y a un souci
évangélique, qui est celui de la venue du Royaume. Alors, ni insouciance non
évangélique ni athéisme pratique, comment vivre entre ces deux écueils? Au XVIII°
siècle, Hevenesi, un jésuite hongrois, a formulé une maxime subtile.
Parfois attribuée à saint Ignace lui-même et - ce qui est plus grave, souvent mal comprise - elle déjoue ces deux écueils en
alliant
foi et
action, responsabilité de chacun et providence de Dieu: « Crois en Dieu comme si tout le cours des choses dépendait de toi, en rien de Dieu. Cependant mets tout en œuvre en elles, comme si rien ne devait être fait par toi, et tout de Dieu seul
». La
force de cette formule est de faire comprendre qu'il n'y pas de séparation
ni de dosage entre ce qui serait de l'homme et ce qui serait de Dieu: faire la volonté de Dieu
c'est poser des actes qui sont entièrement de nous et entièrement de Dieu,
entièrement responsables et entièrement confiants. Cela requiert d'être libre,
c'est-à-dire libéré des attachements qui sont souvent la cause de nos soucis.
Après le saut dans le vide et l'appel à la responsabilité, c'est le troisième
aspect du chemin de la confiance que je veux méditer avec vous avant d'aborder le
chemin de sagesse qu'elle inspire.
En nommant des inquiétudes
fondamentales de notre vie, les textes de notre liturgie de la Parole nomment
au fond certains de nos attachements, autant d'entraves et donc d'enjeux de notre combat spirituel et autant d'horizons de
notre liberté: vis-à-vis des biens matériels,
vis-à-vis de nous-mêmes, vis-à-vis des autres
et vis-à-vis de Dieu. Il ne faut pas attendre le Carême pour en parler ou
plutôt à l'approche
de celui-ci, cela permet de nous y préparer déjà.
En parlant de nourriture et
de vêtement, l'évangile désigne notre rapport à la vie matérielle, aux biens et
aux besoins de la vie. Il ne s'agit pas de nier leur importance. Au contraire,
l'engagement chrétien concerne le souci matériel de nos frères: pensons à la scène
du jugement dernier. Mais la vie ne se réduit pas à cela et nous ne sommes pas
les sauveurs du monde mais les intendants des dons de Dieu, comme dit Saint
Paul. Cela
peut nous aider à évaluer notre échelle de valeurs et la manière dont les biens
de ce monde nous occupent et nous préoccupent. Ensuite, la liberté de. Paul concernant le jugement, liberté vis-à-vis des autres (<<je me soucie fort peu de votre jugement ») et liberté
vis-à-vis de lui-même (<<je ne me juge pas moi-même ( ... ) ; celui qui me juge
c'est le Seigneur ») souligne que beaucoup de nos énergies et de nos
préoccupations concernent notre image. Le combat du détachement est au fond
celui de l'humilité véritable, qui est la vérité,
c'est-à-dire le consentement redevable et
joyeux à ce que nous sommes. La première lecture, enfin, montre que
l'expérience subjective de l'abandon de Dieu et du tourment qui la caractérise
peut être le lieu de la révélation qu'au contraire Dieu nous accompagne
toujours. Là
est la source de notre confiance. Si Dieu ne m'a jamais abandonné, pourquoi le ferait-il maintenant?
Plus largement, on le
perçoit, la liturgie de ce jour propose une véritable sagesse de vie, façonnée par notre foi. C'est mon deuxième grand point ou
chemin. Esquissons-en quelques traits saillants en reprenant simplement des phrases de l'évangile. « A chaque jour suffit sa peine» conclut
l'évangile alors que Paul encourageait à « attend[re] la venue du Seigneur ».
Pas de sagesse de vie sans un juste rapport
au temps qui intègre la patience, la distance,
lieux essentiels pour que se creuse la
confiance ... « Cherchez d'abord et tout vous sera donné ». La logique du don et
de la gratuité avec le sens de la primauté de Dieu, de ce qui ne se voit pas ni
ne se mesure, est essentiel. «La vie ne vaut-elle pas; ne valez-vous pas? »: de
manière semblable, la sagesse connait p:a- le sens des choses
avec ce réalisme spirituel qui consent à ce qui se peut et à ce qui ne se peut
pas (<< qui d'entre vous à force
de souci peut prolonger son existence? »). Enfin, « regardez et observez» :
l'action de grâce est la source de toute sagesse, de paix et de confiance. Au
fond, la sagesse ainsi esquissée requiert « les yeux de la foi» dont nous parle
notre père général, qui allient réalisme et espérance. Que l'expérience du Dieu vivant,
présent et agissant dans nos vies, la prise de conscience humble et réaliste et
l'offrande de nos soucis nous en fassent goûter la force, la paix et la
joie ! Amen
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