Carmel de Saint-Maur - Père Maurice Boisson
« C’est pas
juste ! » Ce comportement du vigneron, ça mériterait une manif ou une
grève ! Il donne à ceux qui ont vendangé douze heures d’affilé, sous la
chaleur, la même paie qu’à ceux qui ont travaillé une heure - et encore - à la
fraîche ! « C’est un scandale ! » – disait quelqu’un.
« Pourquoi se fatiguer,
si on a tous pareil à la fin ? Pourquoi essayer de mener une vie honnête,
juste, charitable, en bon chrétien, si ce mécréant de Léon, qui a fait
n’importe quoi et le reste, passe avant moi la porte du Paradis parce qu’il
s’est repenti au dernier moment ! A quoi bon ? »
C’est pas juste… à nos yeux,
à notre raisonnement… mais si c’était la logique de Dieu, dans laquelle il
voudrait nous entraîner ?
Cette histoire n’est pas une
leçon de droit du travail, ni de justice sociale : elle nous dit tout
simplement que dans sa relation avec nous, avec les hommes, Dieu ne raisonne et
n’agit pas comme nous. Il le dit d’ailleurs dans la première lecture : « Mes pensées ne sont pas vos pensées,
et mes chemins ne sont pas vos chemins » (Isaïe 55,8).
Le psaume complète : « La bonté du Seigneur est pour tous,
sa tendresse, pour toutes ses œuvres » (Psaumes 144,9).
Et Jésus en rajoute : « Vas-tu regarder avec un œil mauvais,
jaloux, parce que moi, je suis bon ? » (Matthieu 20,15).
« Si je suis bon - dit
Dieu – pourquoi penser que je suis mauvais ? C’est à toi à t’accommoder à
mon regard, à penser comme moi, et à prendre mon chemin. »
En fin de compte, dans cette
affaire, personne n’est lésé, le contrat de départ est respecté, ce qui était
convenu est tenu ; ce qui a été donné aux derniers n’a rien enlevé aux
premiers. « Je ne te fais aucun tort
– dit le vigneron (Matthieu 20,13) – tu as ce qui te revient. » C’est
juste.
Cette parabole nous dit que
les relations ou le vivre ensemble ne sont pas faits que de contrats ou
d’accords : il y a une autre logique que celle du marché ou de la
comptabilité des heures de travail.
L’Evangile nous entraîne plus
loin : si un de vos enfants, ou petits-enfants, ou un ami, ou quelqu’un de
proche, est plus difficile – comme on dit – on ne lui dit pas : « On
t’aime moins que les autres parce que tu le mérites moins. » – Mais :
« On t’aime autant et plus parce que tu en as peut-être plus besoin en ce
moment. » Est-ce que ça enlève de l’amour, de l’affection, aux
autres ? Ça n’enlève rien, au contraire, les plus d’attention, d’amour, d’aide, enrichissent tout le monde, des
premiers aux derniers.
« Tu as besoin de cette
pièce d’argent que j’ai donnée aux premiers arrivés, tu ne l’as peut-être pas
méritée, mais tu en as besoin et on t’aime. » - c’est ça, la logique de
Dieu, qui n’est pas notre pensée, ni notre chemin, souvent. « Mes chemins
– dit Dieu – sont bien au-delà des marchandages, des jalousies, des petits
calculs de vos mérites. »
« L’amour n’a pas de
mesure - dit quelqu’un que vous connaissez bien (Saint Augustin) –, sinon celle
d’aimer sans mesure. »
L’estime, la reconnaissance,
la confiance, ça se mérite, mais la pensée de Dieu, dans cette histoire, c’est
aussi que personne ne soit oublié, ni écarté de l’appel à venir à la vigne. Les
premiers ouvriers sont jaloux, mais les derniers, s’ils sont derniers, ils n’y
sont pour rien et ils le disent, ça les rend malheureux : « Pourquoi êtes-vous restés là, toute
la journée, sans rien faire – dit le vigneron – Ils lui répondirent : Parce que personne ne nous a embauchés –
(on croirait lire le journal de ce matin) - Allez, vous aussi, à ma vigne » (Matthieu 20,6-7).
Ils goûtent la joie d’avoir
gagné leur pièce, qui leur permet d’assurer une journée à leur famille.
Pourquoi notre cœur et notre
esprit seraient aussi fermés pour reprocher à Dieu de donner à ces derniers
autant qu’aux premiers ?
Le vigneron se fâche et Dieu
se fâche : « Prends ce qui te
revient, et va-t’en. Je veux donner à ce dernier autant qu’à toi » (Matthieu
20,14)…
-
au bon larron
repenti à la dernière minute : autant qu’à toi ;
-
au fils prodigue
parti et revenu : autant qu’à toi ;
-
à la pécheresse
Marie Madeleine : autant qu’à toi ;
-
à Paul le
persécuteur, à Pierre qui a renié, à Thomas l’incrédule, et aux autres :
autant qu’à toi.
Au fait ! toi, moi, qui
protestons que ce n’est pas juste que les derniers soient premiers, si on
faisait partie de ces derniers ? On devrait se réjouir et remercier de
recevoir autant que les autres ! … cette pièce d’amour dont tu as besoin,
même si tu ne la mérites pas…
« Seigneur, apprends-moi
tes chemins, fais-moi connaître tes pensées. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire