Carmel de Saint-Maur - Père Maurice Boisson
Un
beau samedi d’été, j’avais célébré le mariage de Nicole er Bernard. Ils
s’étaient bien préparés, ça s’était bien passé.
Un
an après, coup de fil : « On aimerait bien te voir. - D’accord ! »
On
se retrouve un soir chez eux.
« Voilà
– me disent-ils – ça ne va pas très bien pour nous : c’est pas ce qu’on
croyait ! Ca ne correspond pas à l’idée qu’on se faisait de notre vie à
deux, quand on s’est marié. On pensait que ça serait autrement. »
On
a parlé ; ils se sont parlé. Une question est arrivée : « Est-ce
que c’est bien toi le même que l’ai aimé ? - Et toi ? »
Ca
a été le point de départ d’une relation nouvelle, une nouvelle découverte de
chacun : « On s’est pas trompé, on est bien. » Les enfants sont
là.
Ils
comprenaient que la réalité peut être différente de ce qu’ils avaient prévu,
peut-être rêvé. Une vérité plus intérieure, plus profonde, plus décapée, plus
belle aussi sans doute.
« Est-ce
bien toi ? »
C’est
peut-être aussi notre expérience : ce décalage entre ce que nous avons
cru, peut-être rêvé, et la réalité qui se révèle autrement. C’est aussi notre
expérience de croyants, quand nous nous faisons de fausses représentations de
Dieu.
C’est
l’expérience de Jean Baptiste dans l’Evangile de ce dimanche. Au fond de sa
prison, coupé de tout, ressassant les événements, Jean Baptiste pense qu’il
s’est peut-être trompé sur la personne de ce Galiléen - en plus son cousin. Il
s’est donné à fond pour le présenter comme le vrai envoyé de Dieu, pour lui
ouvrir la route, et les échos qui lui parviennent dans son cachot le laissent
désemparé ; ça ne correspond pas au profil annoncé, ni à son attente. Au
lieu d’avoir à la main la pelle à vanner pour faire un peu de ménage dans le
pays, et la hache pour faire le tri, le voilà attablé chez les pécheurs,
parlant avec une prostituée et une étrangère au bord d’un puits. On dit de lui
que c’est un goinfre et un ivrogne. Il guérit des souffrants, il touche des
lépreux. « C’est pas possible, c’est pas lui. C’est pas toi - Es-tu celui qui doit
venir ? (Matthieu 11,3) »
« Es-tu
celui – celle -, que j’ai aimé(e) il y a un an - diraient Bernard et
Nicole - est-ce bien ce que je croyais que c’était ? »
« Es-tu celui qui doit
venir ? »
Jean,
dans sa prison, n’est pas seulement prisonnier physiquement : il est
prisonnier de l’idée qu’il se faisait du Messie - nous aussi : dans nos
prisons des pensées uniques, des idées toutes faites, des étiquettes, des
rumeurs, des soi-disant incontournables, même dans l’Eglise, dans ces prisons
qui nous enfer-ment – c’est-à-dire qui nous mettent en enfer-mement.
Jésus,
à Jean Baptiste et à nous-mêmes, ouvre une sortie, une issue – comme une source
qui jaillit là où on ne l’attend pas parce qu’elle s’est frayé un passage à
travers la roche et la terre.
« Allez
dire à Jean, mon cousin, qui s’inquiète et qui doute, dites lui ce qui vous voyez et entendez (Matthieu 11,4) : pas
des démonstrations, pas des théories et des explications - des gestes, des
actes, des signes qui attestent que c’est bien moi - son cousin Jésus -, qui
réalise et inaugure la promesse de Dieu. Vous voyez quoi ? – Des gens qui
sont guéris dans le plus profond de leur corps et de leur cœur, des yeux fermés
qui s’ouvrent à une lumière, des exclus qui retrouvent des relations, des
oreilles bouchées qui entendent une parole d’espérance, d’encouragement, des
gens qui respirent des parfums de la vie dans les senteurs de mort, des blessés
et des cabossés de la vie qui repartent, des cœurs qui se remettent à aimer
vraiment. Dites-lui tout ça au cousin, qu’il se rappelle. Si c’est pas ça le
Royaume de Dieu annoncé, et si c’est pas moi qui suis là pour le
réaliser ! Ce Jean Baptiste, il a bien annoncé et préparé le
chemin. » - « C’est bien moi – Jésus -, c’est bien toi - Jean Baptiste.
Tu ne t’es pas trompé, mais seulement tu me croyais autre que l’envoyé du Père. »
Mais
c’est vrai que - comme la vue s’accommode -, s’accommoder à la vérité, aux
signes, à la profondeur, ça demande de la patience – dit Saint Jacques dans la
deuxième lecture (cf. Jacques 5,7-10).
Comme
le paysan qui attend avec patience que ça « trésisse », on ne voit
rien ou on voit autre chose - c’est pas ce qu’on croyait - et, un beau midi, on
aperçoit un bout de tige entre deux mottes.
« C’est
bien ça. On s’est pas trompé » - disaient mes amis Bernard et Nicole - et
Jean Baptiste -, et nous aujourd’hui. « Tu es bien celui qui doit venir.
C’est à nous de faire voir et entendre aujourd’hui, dans notre quotidien, des
signes de ta venue. C’est bien toi. »
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