Carmel de Saint-Maur - Père Maurice Boisson
Alors ? Qu’est-ce qu’on
fait ? On arrache la page ? On parle d’autre chose ? On laisse
courir -, irréalisable ?
Si nous avons bien entendu,
cette page d’Evangile peut nous déconcerter : aimer ses ennemis, se
laisser faire quand on nous fait du mal ; si on vole notre autoradio ou
notre GPS, faudrait laisser la voiture en prime… Il n’y a pas de vie en société
possible, si chacun peut impunément voler, taper sur l’autre, faire du mal.
En fait, s’il ne faut pas
édulcorer la vigueur et le tranchant de ces paroles de Jésus, il ne faut pas
non plus les prendre à la lettre : c’est l’esprit, le sens de ces
exigences qui doivent inspirer nos relations par rapport à la violence, aux conflits,
à ce qui abîme, détruit, envenime les relations, entre personnes, entre
groupes, entre pays.
En nous invitant à de telles
attitudes de conciliation, d’amour, de pardon, de non-riposte à la violence,
Jésus nous propulse au-delà de ce monde de violence, de méchanceté, de
conflits, dans lequel nous vivons. Il ouvre un coin du voile sur le monde de
Dieu, tel que ce monde ci sera un jour, tel qu’il pourrait être, tel qu’il est
aussi, parfois, quand nous essayons de ne pas donner prise au mal.
Ces exigences de l’Evangile
peuvent nous paraître décalées, utopistes, irréalisables, naïves. Elles sont en
fait source d’énergie durable et propre pour des relations nouvelles et
positives.
Le défi que nous propose
l’Evangile est celui d’entrer dans une autre logique que celle du coup pour
coup, du donnant- redonnant.
Le mal ne peut jamais vaincre
le mal et ne l’a jamais vaincu. La violence ne peut pas vaincre la violence par
un plus de violence : c’est une illusion désastreuse ; on l’a vu ces
jours en Ukraine.
C’est vrai aussi pour les
relations de personne à personne. Ce message de Jésus nous renvoie à nous-même,
pour désarmer la violence, la haine - peut-être -, qui sont en nous d’abord,
dans notre cœur.
Le Prieur de Tibhirine, qui,
avec ses frères, ont été au cœur de ces questions – Christian de Chergé -, écrivait
dans son Testament : « J’ai
suffisamment vécu pour me savoir complice du mal. »
C’est un travail de déminage,
lorsqu’une toute petite égratignure est capable de nous mettre les nerfs à bout
et de nous entraîner dans un circuit de violence.
« Si quelqu’un te gifle sur la joue droite,
tends-lui encore l’autre. »
(Matthieu 5,39)
Jésus ne dit pas « la
joue gauche », mais « l’autre », celle de ton cœur, de ta force
intérieure, « tends lui pour permettre à celui qui te frappe, non pas de
te remettre une autre gifle, mais de se reprendre, et, qui sait, d’avoir le
temps de te faire un bisou. »
« Tends-lui l’autre joue. » - la joue de ton désir de paix.
Loin d’être faiblesse et
naïveté, ces attitudes de l’Evangile font appel à une forte énergie intérieure :
il faut être fort intérieurement, et habité de la paix intérieure de Dieu, pour
ne pas enchaîner sur la violence et pouvoir dire finalement : « Je
t’aime quand même. » Dieu est comme ça.
« Si tu veux la paix,
l’entente, commence par te pacifier toi-même » - répétait Frère Roger, de
Taizé.
J’ai déjà cité ici ce que me
rapportait un ami missionnaire dans un pays de dictature : une femme
subissait un interrogatoire dur par un officier brutal. « Dépêchez-vous de
répondre – lui dit cet homme. Et, en la renvoyant brutalement : Revenez
demain matin. J’ai pas le temps, je dois voir mon enfant malade. »
Le lendemain matin, en
entrant dans le bureau, la femme demande à l’officier : « Comment va
votre enfant ? » Cet homme a été touché au plus profond de lui-même
par ces paroles de douceur qui ont désamorcé sa brutalité. Il a été tout autre.
L’Evangile nous invite à
donner davantage d’amour que ce que l’autre a pu donner de méchanceté. C’est la
vie de Jésus. Dieu lui a donné raison. Il n’a jamais été dit que ce chemin
était facile, sans blessures, sans échec, sans peine ni découragement, mais il
ouvre sur un panorama de ce que seront un jour notre monde, nos relations,
nous-même, et ce qu’ils peuvent être déjà maintenant.
N’arrachons pas trop vite
cette page difficile de l’Evangile, elle est essentielle.
Frère Luc - médecin de
Tibhirine -, avait cette phrase dans son livre de prières : « C’est
une véritable création que de commencer à aimer quelqu’un qui ne nous aime
pas. »
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