- Carmel de Saint-Maur - Père Maurice Boisson
Job 38,1.8-11 ; Psaume 106 ; 2 Corinthiens
5,14-17 ; Marc 4,35-41
« La
vie est un long fleuve tranquille ! » C’est peut-être vrai au cinéma,
comme c’est le cas, mais je ne sais pas si chacun de nous peut le dire de sa
propre vie !
Notre
titre serait peut-être : « La vie est une traversée, avec
turbulences », comme dans ce récit d’Evangile que l’on vient d’entendre.
« Passons sur l’autre rive » (Marc 4,35).
Une
tempête arrive, Jésus dort… les amis ont peur, pourtant c’est leur
métier ! Ils réveillent Jésus, qui calme tout le monde : et la mer,
et le vent, et ses amis.
« Pourquoi avez-vous peur ?
Vous n’avez pas encore confiance ? » (Marc 4,40)
Nos
vies sont sans cesse en traversée, en passage vers d’autres rives - pas
géographiques, mais à l’intérieur de nous-mêmes. Les événements, les morsures
et aussi les caresses de la vie nous emmènent, nous poussent plus loin, vers
des inconnus, nous enseignent parfois à quitter le port de nos certitudes, de
nos tranquillités, de nos assurances.
Notre
monde et l’humanité sont aussi sans cesse en traversées on ne sait pas toujours
bien vers quels demains ; c’est la grande question de la lettre du Pape
François (« Laudato si »), parue ces jours, sur la sauvegarde de
notre maison commune.
Vers
quels rivages allons-nous aborder si nous ne changeons pas de cap ? Notre
destination est « un monde
nouveau », dit la deuxième lecture (2 Corinthiens 5,17) : « Le monde ancien s’en est allé »,
il s’en va et nous sommes des créatures nouvelles dans la nouveauté et la
puissance du Christ ressuscité.
Ces
traversées, ces passages - individuels ou collectifs - vers d’autres rives, ne
se font pas sur une mer d’huile ! Mais, comme sur le lac de Tibériade, un
certain soir – « le soir venu »
(Marc 4,35), note Saint Marc. La peur, le danger, approchent souvent avec la
nuit, quand on ne voit plus très bien clair en nous-mêmes et autour de nous.
Dans nos vies, comme sur ce lac, la tempête survient, on ne la prévoit pas toujours ;
les vagues bousculent nos pauvres petites embarcations, qui prennent l’eau.
Ils
ne manquent pas, les vents, ni les vagues, qui peuvent nous pousser, malgré
nous souvent, vers des lieux d’épreuves, de dépouillement ou de bonheur – dans
nos projets, dans nos santés, nos familles, nos relations, notre foi. Ces
traversées peuvent nous faire peur, nous entraîner au doute, à renoncer à ramer
par vents contraires.
Nos
amis dans la barque comptent sur un passage qui soit fait sans choses
extraordinaires. Mais il dort, cet ami Jésus ! Il faut le réveiller :
« Maître, nous sommes
perdus ! Ça ne te fait rien ? » (Marc 4,38)
« On
est prêts à couler et tu dors, tu t’en fiches ! » On se retrouve bien
dans cette expérience : « Mais, où est le Bon Dieu ? Qu’est-ce qu’il
fait ? Il dort ? »
« Où est-il, votre
Dieu ? », disaient déjà les
païens aux croyants dans l’épreuve (Psaume 79,10).
Dans
ces traversées de turbulences, il peut nous arriver de nous croire abandonnés
de Dieu, quand les événements, les situations, sont trop violents et que la
barque commence à se remplir.
« Je
ne peux plus croire », me disait récemment un papa traversant la dure
épreuve du décès de son fils.
Comme
sur la barque, le silence de Dieu n’est pas indifférence. Il n’est pas
insensible ; nos situations, nos joies et nos peines, nos doutes et nos
peurs ne lui font pas rien. Nous venons de le chanter dans ce psaume : « Dans leurs angoisses, ils ont crié
vers le Seigneur et il les a délivrés de la détresse, réduisant la tempête au
silence, faisant taire les vagues » (Psaume 106,28-29).
Jésus,
réveillé, s’adresse à la mer et au vent comme lorsqu’il chasse le démon, le
mal : « Silence,
tais-toi ! » (…) Et il se fit un grand calme » (Marc
4,39).
Si
les amis, se voyant perdus, réveillent Jésus de son repos, c’est lui, Jésus,
qui réveille leur foi et leur confiance endormies. Il nous réveille : « Pourquoi êtes-vous si
craintifs ? N’avez-vous pas confiance ? »
Dans
l’Evangile, la peur est toujours contraire à la foi, à la confiance.
On
ne va pas forcément vaincre l’insurmontable, ni modifier les lois de la nature
ou de la société, ni être assez fort pour résister au mal, mais dans
l’apparente absence de Dieu, on peut toucher du doigt et du cœur sa présence,
même s’il est à l’arrière de la barque et qu’il nous laisse le gouvernail. Il
est dans la barque, dans nos barques, dans le bateau de l’humanité. « Non, il ne dort pas, notre
gardien », dit un psaume (121,4).
Le
calme de Jésus calme la tempête… La tempête appelle souvent la tempête, comme
la violence peut appeler la violence. Le calme et la paix intérieure, la
sérénité et la confiance, appellent au calme. Cette force intérieure ne vient
pas de notre propre capacité - c’est souvent au-delà de nos forces - mais elle
nous est donnée par une présence réelle, la présence de celui que l’on croit
endormi ; c’est lui qui nous réveille, pour nous redonner confiance :
« Courage… Passons sur l’autre rive. »
Il
est dans la barque, réveillé. Il arrive aussi à la mer d’être calme.
Heureusement,
Jésus est aussi dans la barque : n’oublions pas !
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