« Les progrès de la pratique démocratique vers une vie
sociale paisible et plus fraternelle passent, nous le savons tous, par une
meilleure qualité de l’éducation des jeunes », déclarent les évêques de
France.
« Démocratie et société de violence », « pour un
projet de société », « vers un pacte éducatif »,
« solidarité », « migrants », « Europe »,
« écologie » : en sept thèmes, les dix évêques du Conseil
permanent de la Conférence des évêques de France (CEF) proposent en effet ces
« éléments de réflexion » pour l’Année 2017, « année
électorale ».
Ce Conseil permanent s’est réuni la semaine dernière: “À
l’approche des élections présidentielles de 2017, les évêques ont souhaité proposé
quelques éléments de réflexion sur les grands thèmes qui fondent notre société.
Cette déclaration s’adresse aux communautés chrétiennes et à l’ensemble des
acteurs de la vie politique française ; des électeurs aux élus”, précise un
communiqué.
Il ajoute : “S’appuyant sur l’actualité, les évêques membres du
Conseil permanent ont articulé cette déclaration autours de 7 points ; quelques
questions :
·
Démocratie et société de violence : comment favoriser un véritable débat
national en évitant les crispations identitaires ?
·
Pour un projet de société : quel projet de société voulons-nous ?
Comment concilier progrès technologiques et respect de la dignité humaine ?
Quel respect de la vie de son commencement à sa fin ?
·
Vers un pacte éducatif : comment proposer une meilleure qualité d’éducation pour les
jeunes ? Comment favoriser la cohésion familiale ?
·
Solidarité : remettre la recherche du bien commun au cœur de notre société.
·
Migrants : est-il aujourd’hui tolérable que des millions d’hommes de
femmes et d’enfants vivent sur notre territoire dans des conditions trop
souvent inhumaine ? Quelle volonté d’intégration ?
·
Europe : comment continuer à se développer sans une véritable adhésion
des peuples d’Europe ?
·
Écologie : Un an après la COP21 qui s’est tenue à Paris en décembre et la
parution de l’encyclique Laudato
Si, quelles solutions pour protéger la « maison commune» ? Comment
réinventer notre société pour un monde plus juste et moins destructeur ?”
La réflexion retiendra certainement l’attention des autres pays
d’Europe qui doivent affronter les mêmes thèmes : violence, projet,
éducation, solidarité, migrants, Europe et écologie…
Voici le texte intégral de la Déclaration publiée ce lundi 20
juin.
Déclaration du Conseil permanent de la CEF
2017, ANNÉE ÉLECTORALE QUELQUES ÉLÉMENTS DE RÉFLEXION
La France va vivre une année électorale importante avec l’élection
présidentielle et les élections législatives. À la veille de ce qui doit être
un authentique débat démocratique, nous souhaitons appeler nos concitoyens à
tenir compte de certains enjeux qui nous paraissent engager notre avenir de
façon déterminante. Nous le faisons à la lumière de nos convictions enracinées
dans la tradition chrétienne et des textes publiés par le Pape François au
cours des années écoulées.
1.
Démocratie et société de violence
La pratique démocratique établit des règles de débat qui
permettent de confronter des convictions et de choisir pacifiquement entre
différents projets de société. Quand la vie démocratique tombe dans le
discrédit ou l’impuissance, les intérêts particuliers et les groupes de
pression s’habituent à user de leurs moyens de contrainte pour forcer les
responsables politiques à satisfaire leurs demandes. L’excès de lois trop
circonstancielles émousse la force de la loi et le respect qui lui est dû. On
s’efforce de dénier les procédures démocratiques pour obtenir par la
contrainte, ou même la violence, ce que l’on n’a pas obtenu dans les urnes.
Si nous voulons progresser dans les pratiques démocratiques,
nous devons promouvoir l’exercice du droit de vote en développant dans la
société un véritable débat qui échappe aux postures, aux « petites phrases » et
aux ambitions personnelles.
Le jeu médiatique, établi sur la mise en valeur excessive de la
polémique et de la dénonciation, focalise l’attention générale sur des conflits
de personnes ou des ambitions particulières en négligeant les convictions et
les propositions argumentées. Il fait apparaître les projets et les candidats
comme un jeu de rôles dans lesquels les enjeux ne sont présentés que comme des
prétextes. Il ne favorise pas la confrontation pacifique, mais en développant
la violence verbale, il contribue à développer une sorte d’hystérie de la vie
publique.
Pour favoriser un véritable débat national, la campagne
électorale à venir devra éviter les risques de crispations identitaires tout en
faisant droit au fait national : nos racines, notre culture, notre patrie avec
son histoire, ses responsabilités et ses atouts, la place et l’importance du
fait religieux et des religions.
2.
Pour un projet de société
Le débat démocratique n’est pas une fin en soi. Il est au service
de la confrontation entre des opinions et des projets. Il doit donc être une
occasion d’expliciter quel projet de société nous voulons soutenir et
promouvoir. Trop souvent les critères mis en avant se limitent à envisager et
exprimer les données économiques, comme si l’économie était le seul facteur de
construction de la qualité de la vie humaine, personnelle et collective.
L’être humain est plus qu’un élément du processus économique.
Les progrès technologiques et économiques doivent être au service du bien de
tous et non seulement du profit de quelques-uns. C’est donc vers une économie
du partage que nous devons avancer, vers un partage plus équitable du travail
et des fruits du travail.
La qualité humaine d’une société se juge aussi à la manière dont
elle traite les plus faibles de ses membres : ceux qui sont laissés au bord du
chemin de la prospérité, personnes âgées, malades, personnes handicapées… Nous
ne pouvons être indifférents à aucune victime de notre société. Nous sommes
responsables du respect de toute vie de son commencement à sa fin.
3.
Vers un pacte éducatif
Ces progrès de la pratique démocratique vers une vie sociale
paisible et plus fraternelle passent, nous le savons tous, par une meilleure
qualité de l’éducation des jeunes. Cette amélioration toujours nécessaire
repose sur la qualité de la scolarisation qui est trop souvent soumise à des
réformes auxquelles on ne donne pas le temps de porter leurs fruits et sur
lesquelles on ne fait que trop rarement une véritable évaluation. Mais surtout elle
passe par une confiance à rétablir entre les familles et l’école.
Pour le bien des enfants, c’est un véritable pacte éducatif qui
doit unir les familles et l’école, non une concurrence, moins encore une
méfiance. Toutes les dispositions législatives ou réglementaires qui
affaiblissent la stabilité des familles et les moyens d’exercer leurs
responsabilités ne peuvent jamais être compensées par une exigence incantatoire
envers l’école. La marginalisation d’un nombre croissant de familles, les
mesures qui brouillent la filiation, celles qui favorisent les divorces et
l’éclatement des familles sont payées très cher par leurs premières victimes :
les enfants. On ne peut pas espérer faire progresser la cohésion sociale en
négligeant son tissu nourricier qui est la cohésion familiale. Les liens entre
l’éclatement des familles, l’échec scolaire, la marginalisation des jeunes,
parfois jusqu’à la délinquance, sont avérés, même si nous ne souhaitons pas le
reconnaître. Les travaux du synode des évêques sur la famille, repris par le
Pape François dans l’Exhortation Apostolique Amoris laetitia (La joie de
l’amour), rappellent combien une famille unie est une ressource pour l’avenir
et une espérance pour le bien de tous.
4.
Solidarité
Une société vivante ne peut pas être la simple addition
d’intérêts ou d’accords particuliers. Elle repose nécessairement sur la
recherche du bien commun et la mise en œuvre de moyens de solidarité efficace.
C’est une des grandes responsabilités de l’État d’organiser cette solidarité,
surtout dans les périodes de grandes difficultés économiques. Partager dans les
périodes d’opulence peut paraître relativement indolore : il ne s’agit que de
distribuer le superflu. Dans les périodes de restriction, il s’agit de partager
en prenant sur le nécessaire.
Dans notre société, l’écart entre ceux qui peuvent compter sur
la sécurité et ceux qui sont plongés dans la précarité ne cesse de s’accroître.
De plus en plus de nos concitoyens ne peuvent plus bénéficier du droit au
travail. Il est illusoire de penser que des indemnités financières peuvent
compenser cette carence. La fragilité de l’emploi suscite des crispations de la
part de ceux qui jouissent d’un emploi garanti et d’avantages sociaux assurés.
La défense des droits acquis se substitue à la volonté de partager et
d’intégrer de nouveaux bénéficiaires. Les plus jeunes sont les premières
victimes d’un système inégalitaire. Pourtant beaucoup d’entre eux attendent
d’être appelés pour prendre leur place dans notre société.
Alors que le dynamisme économique suppose des encouragements
durables à l’initiative et à la prise de risque, l’État doit gérer positivement
la tension entre un libéralisme sans contrôle et la sauvegarde des mécanismes
de protection sociale (assurance maladie, retraite, chômage, etc.). Cet
objectif doit nécessairement ressortir des projets soumis au vote des citoyens.
5.
Migrants
Dans une époque où les distances et les frontières s’effacent
devant la mondialisation économique et culturelle, notre volonté de solidarité
ne peut pas s’enfermer dans le cadre restreint de notre pays. Les événements
dramatiques qui frappent les populations du Moyen- Orient ou d’Afrique jettent
sur les routes et sur la mer des centaines de milliers de réfugiés, véritables
naufragés humains. Quand la Jordanie et le Liban reçoivent des millions de
réfugiés, comment notre pays pourrait-il reculer devant la perspective
d’accueillir et d’intégrer quelques dizaines de milliers de ces victimes ?
Mais plus largement que l’accueil des réfugiés, nous devons nous
interroger sur la manière dont nous traitons des migrants arrivés dans notre
pays depuis plusieurs années. Est- il aujourd’hui tolérable que des milliers
d’hommes de femmes et d’enfants vivent sur notre territoire dans des conditions
trop souvent inhumaines ?
Une volonté d’intégration ne peut se réaliser sans
accompagnement des ruptures culturelles. La seule recherche de solutions
économiques est vouée à l’échec si rien n’est entrepris pour la promotion
culturelle, promotion d’une culture enracinée, qui donne ou redonne le sens
d’une vie collective nationale.
6.
Europe
Nous sommes bien conscients que la France, à elle seule, ne peut
solutionner ces situations dramatiques. Nous ne pouvons contribuer à les
soulager que dans le cadre de la solidarité européenne. D’une certaine façon,
notre vieille Europe joue son avenir dans la manière dont elle réagit. Soit
elle nourrit l’illusion de pouvoir barrer la route à toutes les misères pour
protéger sa relative prospérité, soit elle s’engage courageusement dans des
politiques d’accueil.
L’accueil serait aussi une illusion s’il ne s’accompagnait pas
de véritables programmes de soutien dans les pays d’origine des migrations :
soutien économique et soutien politique pour lutter contre la misère endémique
et les procédés antidémocratiques de certains gouvernants. Cette lutte doit
suivre les engagements internationaux pris pour l’aide au développement et peut
conduire à des interventions dans différents pays, comme la France l’a fait au
cours des années écoulées.
Mais le projet européen ne peut se poursuivre ni se développer
sans une véritable adhésion des peuples d’Europe. Cette adhésion suppose de
respecter davantage le fait historique et culturel des nations qui composent le
continent. Une véritable pratique de la subsidiarité, telle qu’elle est
inscrite dans ses textes fondateurs, serait une nouvelle chance pour l’Europe.
7.
Ecologie
Il y a à peine un an, la tenue en France de la Cop21, nous
sensibilisait à notre responsabilité commune envers l’humanité. Le Pape
François nous a rappelé gravement cette responsabilité dans l’encyclique
Laudato si. L’enjeu écologique n’est pas simplement une vision naturaliste du
monde, c’est une prise de conscience morale des risques de déséquilibre
climatique et économique que court la planète.
Responsables de la « maison commune », il nous faut mieux tenir
compte des dégâts que provoque une société tout entière fondée sur
l’augmentation de la consommation. Nous avons la charge d’un monde qui a ses
limites et nous ne pouvons pas l’épuiser comme s’il était sans limites. La
sagesse nous invite à revoir nos modèles de consommation et à inventer un monde
moins destructeur et plus juste.
Devant les défis auxquels notre société est confrontée, le
risque principal serait de renoncer à lutter pour l’avenir et de céder à la
tentation du fatalisme. Trop de nos concitoyens en sont arrivés à croire que la
situation est bloquée et que personne n’est capable de la débloquer. Les
ressources de notre pays, ressources économiques, humaines, culturelles et
spirituelles nous permettent de rejeter ce fatalisme. Elles engagent chacun et
chacune à exercer son discernement et sa responsabilité pour le bien de tous.
Pour celles et ceux qui ont foi en Dieu et qui vivent dans la
communion au Christ, les difficultés que nous rencontrons ne sont pas un appel
au renoncement. Au contraire, elles nous acculent à investir toutes nos
capacités pour construire une société plus juste et plus respectueuse de
chacun. Cela s’appelle l’espérance.
Le Conseil permanent de la Conférence des évêques de France
Mgr Georges PONTIER, Archevêque de Marseille, président de la
CEF
Mgr Pierre-Marie CARRÉ, Archevêque de Montpellier,
vice-président de la CEF
Mgr Pascal DELANNOY, Évêque de Saint-Denis, vice-président de la
CEF
Cardinal André VINGT-TROIS, Archevêque de Paris
Mgr Jean-Claude BOULANGER, Évêque de Bayeux et Lisieux
Mgr François FONLUPT, Évêque de Rodez
Mgr Hubert HERBRETEAU, Évêque d’Agen
Mgr Jean-Paul JAMES, Évêque de Nantes
Mgr Stanislas LALANNE, Évêque de Pontoise
Mgr Benoît RIVIÈRE, Évêque
d’Autun, Chalon et Mâcon
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