Carmel de Saint-Maur - Père Maurice Boisson
Jonas 3,1-5.10 ; Psaume 24 ; 1 Corinthiens
7,29-31 ; Marc 1,14-20
« Vous êtes passé à côté de moi en ville, mardi,… vous ne m’avez même pas regardé !
– Ah bon ! Je ne vous ai peut-être pas vu !
– Oh si, vous m’avez vu, mais vous n’avez pas fait attention ! »
Je
me suis excusé ; ça s’est bien fini ; c’était sans doute vrai que je
n’avais pas fait attention. Ça arrive qu’on ne voie pas - tout en regardant -,
par exemple qu’on donne une poignée de main en regardant ailleurs.
Le
regard est une attitude primordiale dans les quatre Evangiles : 665 fois,
il est question de regard comme du commencement de quelque chose. Tout, parfois,
commence ou finit par un regard.
« Passant le long du lac de
Galilée », Jésus voit des
pêcheurs, qui pêchaient et qui réparaient les filets (Marc 1,16).
Rien
d’extraordinaire.
Il
voit d’abord deux frères : Simon et André –, et les appelle à le suivre.
Il
avance un peu, il voit de nouveau deux frères : Jacques et Jean –, et les
appelle aussi à le suivre.
Jésus
pose son regard sur ces hommes en plein travail, qui faisaient leur métier -,
un regard qui en disait long, exprimé aussi dans deux mots : « Suivez-moi ! »
Et
ils sont partis, sur ce regard et cette parole, laissant tout : les
ouvriers, le père, les barques, les filets, les clients, les poissons. Il
fallait bien être un peu fou !
En
raccourcissant l’événement, Marc nous montre la force d’attirance du regard et
de la parole de Jésus.
Ça
a été vrai aussi pour l’aveugle au bord du chemin, pour Zachée sur son arbre,
pour Matthieu à son bureau, pour nous aussi…
L’Evangile
est plein de regards de Jésus, de regards qui font exister, qui appellent - à plus,
à un plus, parfois à une suite radicale et à des choix forts, dans la liberté.
Les
moyens de communication les plus performants - bien utiles, c’est vrai - ne remplacent
jamais un regard humain : celui du cœur, le regard qui fait exister,
relève, fait repartir, met en route - comme nos quatre amis.
Au
bord de ce lac, rien d’extraordinaire pour attirer l’attention : des gens
qui font leur métier, pas de C.V. ni de casting, mais l’invisible, l’intérieur,
que seul peut voir un regard qui part des profondeurs du cœur pour rejoindre
l’autre dans son être et son désir profonds.
On
sait bien qu’un regard et une parole qui aiment mettent en route, font grandir,
avancer.
Un
regard et une parole qui jugent et méprisent, arrêtent, paralysent, détournent.
Le
regard de Dieu - par le regard humain de Jésus - nous apprend à voir, à faire
attention, dirait mon brave monsieur -, et surtout à nous laisser regarder par
le Christ : c’est se laisser aimer. Aimer donne envie de suivre.
On
croit que l’appel de Jésus, c’est pour les Sœurs, les moines, les prêtres...
C’est
sur chacun de nous que Jésus pose son regard et sa parole, dans nos activités
et nos situations les plus quotidiennes, dans nos barques que nous essayons de
mener tant bien que mal, en train de rafistoler nos filets qui se déchirent.
Si
ce regard et cette parole se font sentir plus radicalement à certains - comme à
vous, mes Sœurs -, ils s’adressent à tous sans forcément quitter nos barques.
« Venez, je vous ferai devenir
pêcheurs d’hommes » (Marc 1,17).
Cet
appel ne nous demande pas à tous de changer de métier, de situation, mais il
nous offre un autre débouché : celui de la vie.
Pêcher
des poissons, c’est leur donner la mort.
Pêcher
– repêcher - quelqu’un, c’est lui donner – ou redonner – la vie, c’est l’empêcher
de se noyer, l’aider à vivre, lui offrir l’air, la lumière.
C’est
cela que nous offre le Christ. C’est cela, le suivre - sur un chemin intérieur
-, qui accommode notre regard sur le sien.
Passant
le long des chemins si divers de nos vies, Jésus pose sur nous son regard… Il a
fait attention, lui, il s’arrête, murmure à notre oreille ce que nous avons
prié dans la prière d’ouverture :
« Dirige
ta vie selon mon amour »,… et la pêche sera bonne.
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