Homélie 30ème dimanche C
Carmel de Saint-Maur - Père Maurice Boisson
Quand
tout nous dit, aujourd’hui, qu’il faut être - ou paraître le meilleur - , le
gagnant, le plus puissant, quitte à mépriser les autres, la Parole de Jésus que
nous venons d’entendre peut sembler complètement décalée, à contre-courant de
la mentalité actuelle. « Celui qui s’élève sera abaissée, celui qui
s’abaisse sera élevé. » Pourtant, de quels bienfaits pourrions-nous
bénéficier de cet appel ! Pour la qualité de nos relations, avec Dieu bien sûr,
et comme tout se tient, de la qualité de nos relations avec les autres et avec
nous-mêmes.
Et
si cette petite histoire du pharisien et du publicain nous indiquait un chemin
? Celui
de l’accueil de la grâce de Dieu, un chemin de fraternité avec les autres, le
chemin vers l’intériorité de nous-mêmes : un appel à réduire la dimension de
notre moi - pas ce que nous sommes - mais de l’excroissance de notre
« moi, je … ne suis pas comme… », « moi, je… fais le
bien… » Il s’agit de faire un peu de place au « nous »
- Nous avec Dieu, ou Dieu avec nous. Il est le premier acteur et la source de notre existence.
- Nous avec les autres, sans qui on ne serait rien.
- Nous avec le plus profond de ce que nous sommes.
C’est
un enseignement de ces deux petits portraits croqués par Jésus, un peu
caricaturaux, pour faire ressortir les traits principaux de ces deux
personnages. Nous ne sommes pas tout l’un ou tout l’autre. Il y a en nous les
deux à la fois, à certains moments, plus pharisiens, à d’autres plus
publicains. Action de grâce pour ce qu’il y a de bien en nous et qui est le
travail de Dieu avec notre consentement et notre collaboration. Action de grâce
pour ce qu’il y a de bien chez les autres et non pas le mépris des autres. En
même temps, comme le publicain, nous avons conscience de notre fragilité, de
notre faiblesse, de notre péché, qui nous fait demander humblement la
miséricorde et l’aide de Dieu pour nous relever.
« Qui
s’élève sera abaissé» non pas écrasé, ni humilié mais allégé du poids de la
hauteur artificielle de son moi, trop gonflé de lui-même, pour être à un niveau
lui permettant de recevoir Autre que lui-même : la grâce et les dons de Dieu,
qui lui, s’abaisse pour se faire l’un de nous : à notre hauteur, pour nous
rejoindre chacun là où il en est et le faire grandir, l’élever en bonté et en
amour.
« Qui
s’abaisse sera élevé », non pas sur un podium, ou à la une des premiers
prix. S’abaisser n’est pas non plus se dévaloriser, pour avoir le plaisir de
s’entendre dire ; « Ah, non, tu n’es pas comme ça ! Tu as plein de
possibilités ! » Cette fausse humilité est une forme d’orgueil déguisé.
S’abaisser n’est pas renoncer à ses talents, ce n’est pas nous qui nous nous
les sommes donnés ! S’abaisser pour poser le poids de ce qui est, en
nous-mêmes, de ce qui nous empêche de gravir les sentiers (ou l’échelle, comme
on l’a vu cette semaine, mes Soeurs, dans « La nuit obscure », poème
de Saint-Jean de la Croix), nous permettant d’aller vers des « plus »
: de la rencontre avec Dieu, de la vie fraternelle, de la paix intérieure de
notre coeur.
S’élever,
comme le pharisien, pour s’exposer à l’admiration de Dieu en méprisant les
autres, c’est le fait de la puissance qui vient de ce que l’on a, pas seulement
de l’avoir matériel, mais aussi du pouvoir, des relations, du savoir etc…
L’attitude du pharisien n’a pas - encore - rejoint le regard de Dieu. Dieu ne
regarde pas la puissance mais la grandeur. La grandeur vient de ce qu’on est,
c’est la capacité de notre coeur à être grand : Avoir grand coeur ! C’est là
qu’Il veut nous élever : à la grandeur de notre coeur, à la grandeur du Sien,
c’est-à-dire de son Amour. Consentir à nous laisser élever, comme le publicain
bien conscient de son péché (« Montre-Toi favorable au pécheur que je suis
! ») et qui, comme son collègue Matthieu accepte de rectifier sa conduite.
Le
message de ce dimanche se résume en la pratique de cette disposition intérieure
: l’humilité, bien comprise, sans contrefaçon d’orgueil déguisé. C’est une
qualité essentielle de l’amour, sans laquelle notre relation à Dieu devient
relation à nous-même, sans laquelle la vie ensemble se grippe et notre propre
existence devient la proie de nos pulsions égoïstes.
« L’humilité
de Dieu » est le titre d’un livre d’un grand spirituel, le Père Varillon,
sj. « Si Dieu est Amour, écrit-il, il est humble ». Et il ajoute :
« Un regard, qui veut dire je vaux plus que toi, ne peut pas dire :
« je t’aime » ».
Deux
personnes allaient à l’église pour prier…
Peut-être
que c’était nous…
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