2016-12-12 Radio Vatican
La non-violence : le style de la politique pour la paix1. Au début de cette nouvelle année, je présente mes vœux
sincères de paix aux peuples et aux nations du monde, aux Chefs d’État et de Gouvernement, ainsi qu’aux responsables des communautés religieuses et des diverses expressions de la société civile. Je souhaite la paix à chaque homme, à chaque femme ainsi qu’à chaque enfant et je prie pour que l’image et la ressemblance de Dieu dans chaque personne nous permettent de nous reconnaître mutuellement comme des dons sacrés dotés d’une immense dignité. Surtout dans les situations de conflit, respectons cette « dignité la plus profonde » et faisons de la non-violence active notre style de vie.
Voilà le Message pour la 50ème Journée Mondiale de la Paix. Dans le
premier, le bienheureux Pape Paul VI s’est adressé à tous les peuples,
non seulement aux catholiques, par des paroles sans équivoque : «
Finalement [a] émergé d'une manière très claire le fait que la paix
était l'unique et vraie ligne du progrès humain (et non les tensions des
nationalismes ambitieux, non les conquêtes violentes, non les
répressions créatrices d'un faux ordre civil) ». Il mettait en garde
contre le « péril de croire que les controverses internationales ne
peuvent se résoudre par les voies de la raison, à savoir par des
pourparlers fondés sur le droit, la justice et l'équité, mais seulement
au moyen des forces qui sèment la terreur et le meurtre ». Au contraire,
en citant Pacem in terris de son prédécesseur saint Jean XXIII, il
exaltait « le sens et l'amour de la paix, fondée sur la vérité, sur la
justice, sur la liberté, sur l'amour ». L’actualité de ces paroles, qui
aujourd’hui ne sont pas moins importantes et pressantes qu’il y a
cinquante ans, est frappante.
À cette occasion, je souhaite m’arrêter sur la non-violence comme
style d’une politique de paix et je demande à Dieu de nous aider tous à
puiser à la non-violence dans les profondeurs de nos sentiments et de
nos valeurs personnelles. Que ce soient la charité et la non-violence
qui guident la manière dont nous nous traitons les uns les autres dans
les relations interpersonnelles, dans les relations sociales et dans les
relations internationales. Lorsqu’elles savent résister à la tentation
de la vengeance, les victimes de la violence peuvent être les
protagonistes les plus crédibles de processus non-violents de
construction de la paix. Depuis le niveau local et quotidien jusqu’à
celui de l’ordre mondial, puisse la non-violence devenir le style
caractéristique de nos décisions, de nos relations, de nos actions, de
la politique sous toutes ses formes !
Un monde en morceaux
2. Le siècle dernier a été ravagé par deux guerres mondiales
meurtrières ; il a connu la menace de la guerre nucléaire et un grand
nombre d’autres conflits, tandis qu’aujourd’hui, malheureusement, nous
sommes aux prises avec une terrible guerre mondiale par morceaux. Il
n’est pas facile de savoir si le monde est actuellement plus ou moins
violent qu’il l’a été hier, ni si les moyens de communication modernes
et la mobilité qui caractérise notre époque nous rendent conscients de
la violence ou plus habitués à elle.
De toute façon, cette violence qui s’exerce par ‘‘morceaux’’, de
manières et à des niveaux différents, provoque d’énormes souffrances
dont nous sommes bien conscients : guerres dans différents pays et
continents ; terrorisme, criminalité et attaques armées imprévisibles ;
les abus subis par les migrants et par les victimes de la traite ; la
dévastation de l’environnement. À quelle fin ? La violence permet-elle
d’atteindre des objectifs de valeur durable ? Tout ce qu’elle obtient
n’est-ce pas plutôt de déchaîner des représailles et des spirales de
conflits mortels qui ne profitent qu’à un petit nombre de ‘‘seigneurs de
la guerre’’ ?
La violence n’est pas le remède pour notre monde en morceaux.
Répondre à la violence par la violence conduit, dans la meilleure des
hypothèses, à des migrations forcées et à d’effroyables souffrances,
puisque d’importantes quantités de ressources sont destinées à des fins
militaires et soustraites aux exigences quotidiennes des jeunes, des
familles en difficulté, des personnes âgées, des malades, de la grande
majorité des habitants du monde. Dans le pire des cas, elle peut
conduire à la mort, physique et spirituelle, de beaucoup, voire de tous.
La Bonne Nouvelle
3. Jésus aussi a vécu en des temps de violence. Il a enseigné
que le vrai champ de bataille, sur lequel s’affrontent la violence et la
paix, est le cœur de l’homme : « C’est du dedans, du cœur de l’homme,
que sortent les pensées perverses » (Mc 7, 21). Mais le message du
Christ, face à cette réalité, offre la réponse radicalement positive :
il a prêché inlassablement l’amour inconditionnel de Dieu qui accueille
et pardonne et il a enseigné à ses disciples à aimer les ennemis (cf. Mt
5, 44) et à tendre l’autre joue (cf. Mt 5, 39). Lorsqu’il a empêché
ceux qui accusaient la femme adultère de la lapider (cf. Jn 8, 1-11) et
lorsque, la nuit d’avant sa mort, il a dit à Pierre de remettre son épée
au fourreau (cf. Mt 26, 52), Jésus a tracé la voie de la non-violence,
qu’il a parcourue jusqu’au bout, jusqu’à la croix, par laquelle il a
réalisé la paix et détruit l’inimitié (cf. Ep 2, 14-16). C’est pourquoi,
celui qui accueille la Bonne Nouvelle de Jésus sait reconnaître la
violence qu’il porte en lui-même et se laisse guérir par la miséricorde
de Dieu, en devenant ainsi, à son tour, un instrument de réconciliation,
selon l’exhortation de saint François d’Assise : « La paix que vos
bouches annoncent, ayez-la plus encore en vos cœurs ».
Être aujourd’hui de vrais disciples de Jésus signifie adhérer
également à sa proposition de non-violence. Comme l’a affirmé mon
prédécesseur Benoît XVI, elle « est réaliste, car elle tient compte du
fait que dans le monde il règne trop de violence, trop d'injustice, et
que par conséquent, on ne peut surmonter cette situation qu'en lui
opposant un supplément d'amour, un supplément de bonté. Ce
‘‘supplément’’ vient de Dieu ». Et il ajoutait avec une grande force : «
Pour les chrétiens, la non-violence n'est pas un simple comportement
tactique, mais bien une manière d'être de la personne, l'attitude de
celui qui est tellement convaincu de l'amour de Dieu et de sa puissance,
qu'il n'a pas peur d'affronter le mal avec les seules armes de l'amour
et de la vérité. L'amour de l'ennemi constitue le noyau de la
‘‘révolution chrétienne’’ ». Justement, l’évangile du aimez vos ennemis
(cf. Lc 6, 27) est considéré comme «la magna charta de la non-violence
chrétienne » ; il ne consiste pas « à se résigner au mal […] mais à
répondre au mal par le bien (cf. Rm 12, 17-21), en brisant ainsi la
chaîne de l'injustice ».
Plus puissante que la violence
4. La non-violence est parfois comprise dans le sens de
capitulation, de désengagement et de passivité, mais en réalité il n’en
est pas ainsi. Lorsque Mère Térésa a reçu le Prix Nobel de la Paix en
1979, elle a livré clairement son message de non-violence active : «
Dans notre famille, nous n’avons pas besoin de bombes et d’armes, de
détruire pour apporter la paix, mais uniquement d’être ensemble, de nous
aimer les uns les autres […]. Et nous pourrons vaincre tout le mal
qu’il y a dans le monde ». Car, la force des armes est trompeuse. «
Tandis que les trafiquants d’armes font leur travail, il y a les pauvres
artisans de paix qui, seulement pour aider une personne, une autre,
puis une autre, puis une autre, donnent leur vie » ; pour ces artisans
de paix, Mère Térésa est « un symbole, une icône de notre temps ». En
septembre dernier, j’ai eu la grande joie de la proclamer sainte. J’ai
loué sa disponibilité envers tous par « l’accueil et la défense de la
vie humaine, de la vie dans le sein maternel [et] de la vie abandonnée
et rejetée. […] Elle s’est penchée sur les personnes abattues qu’on
laisse mourir au bord des routes, en reconnaissant la dignité que Dieu
leur a donnée ; elle a fait entendre sa voix aux puissants de la terre,
afin qu’ils reconnaissent leurs fautes face aux crimes – face aux crimes
- de la pauvreté qu’ils ont créée eux-mêmes ». En réponse, sa mission –
et en cela, elle représente des milliers, voire des millions de
personnes – est d’aller à la rencontre des victimes avec générosité et
dévouement, en touchant et en pansant tout corps blessé, en guérissant
toute vie brisée.
La non-violence pratiquée avec détermination et cohérence a donné des
résultats impressionnants. Les succès obtenus par le Mahatma Gandhi et
Khan Abdul Ghaffar Khan dans la libération de l’Inde, et par Martin
Luther King Jr contre la discrimination raciale ne seront jamais
oubliés. Les femmes, en particulier, sont souvent des leaders de
non-violence, comme par exemple, Leymah Gbowee et des milliers de femmes
libériennes, qui ont organisé des rencontres de prière et une
protestation non-violente (pray-ins) obtenant des négociations de haut
niveau pour la fin de la deuxième grande guerre civile au Libéria.
Nous ne pouvons pas non plus oublier la décennie historique qui s’est
conclue par la chute des régimes communistes en Europe. Les communautés
chrétiennes ont apporté leur contribution par la prière insistante et
l’action courageuse. Le ministère et le magistère de saint Jean-Paul II
ont exercé une influence particulière. En réfléchissant sur les
événements de 1989 dans l’Encyclique Centesimus annus (1991), mon
prédécesseur soulignait qu’un changement historique dans la vie des
peuples, des nations et des États se réalise « par une lutte pacifique,
qui [utilise] les seules armes de la vérité et de la justice ». Ce
parcours de transition politique vers la paix a été rendu possible en
partie « par l'action non violente d'hommes qui, alors qu'ils avaient
toujours refusé de céder au pouvoir de la force, ont su trouver dans
chaque cas la manière efficace de rendre témoignage à la vérité ». Et il
concluait : « Puissent les hommes apprendre à lutter sans violence pour
la justice, en renonçant à la lutte des classes dans les controverses
internes et à la guerre dans les controverses internationales ».
L’Église s’est engagée pour la réalisation de stratégies
non-violentes de promotion de la paix dans beaucoup de pays, en
sollicitant même les acteurs les plus violents dans des efforts pour
construire une paix juste et durable.
Cet engagement en faveur des victimes de l’injustice et de la
violence n’est pas un patrimoine exclusif de l’Église catholique, mais
est propre à de nombreuses traditions religieuses pour lesquelles « la
compassion et la non-violence sont essentielles et indiquent la voie de
la vie ». Je le réaffirme avec force : « Aucune religion n’est
terroriste ». La violence est une profanation du nom de Dieu. Ne nous
lassons jamais de le répéter : « Jamais le nom de Dieu ne peut justifier
la violence. Seule la paix est sainte. Seule la paix est sainte, pas la
guerre ! ».
La racine domestique d’une politique non-violente
5. Si l’origine dont émane la violence est le cœur des hommes,
il est alors fondamental de parcourir le sentier de la non-violence en
premier lieu à l’intérieur de la famille. C’est une composante de cette
joie de l’amour que j’ai présentée, en mars dernier, dans l’Exhortation
apostolique Amoris laetitia, en conclusion de deux ans de réflexion de
la part de l’Église sur le mariage et la famille. La famille est le
creuset indispensable dans lequel époux, parents et enfants, frères et
sœurs apprennent à communiquer et à prendre soin les uns des autres de
manière désintéressée, et où les frictions, voire les conflits doivent
être surmontés non pas par la force, mais par le dialogue, le respect,
la recherche du bien de l’autre, la miséricorde et le pardon. De
l’intérieur de la famille, la joie de l’amour se propage dans le monde
et rayonne dans toute la société. D’autre part, une éthique de
fraternité et de coexistence pacifique entre les personnes et entre les
peuples ne peut se fonder sur la logique de la peur, de la violence et
de la fermeture, mais sur la responsabilité, sur le respect et sur le
dialogue sincère. En ce sens, j’adresse un appel en faveur du
désarmement, ainsi que de la prohibition et de l’abolition des armes
nucléaires : la dissuasion nucléaire et la menace de la destruction
réciproque assurée ne peuvent pas fonder ce genre d’éthique. Avec la
même urgence, je supplie que cessent la violence domestique et les abus
envers les femmes et les enfants.
Le Jubilé de la Miséricorde, conclu en novembre dernier, a été une
invitation à regarder dans les profondeurs de notre cœur et à y laisser
entrer la miséricorde de Dieu. L’année jubilaire nous a fait prendre
conscience du grand nombre et de la grande variété des personnes et des
groupes sociaux qui sont traités avec indifférence, sont victimes
d’injustice et subissent la violence. Ils font partie de notre
‘‘famille’’, ils sont nos frères et nos sœurs. C’est pourquoi les
politiques de non-violence doivent commencer entre les murs de la maison
pour se diffuser ensuite dans l’entière famille humaine. « L’exemple de
sainte Thérèse de Lisieux nous invite à pratiquer la petite voie de
l’amour, à ne pas perdre l’occasion d’un mot aimable, d’un sourire, de
n’importe quel petit geste qui sème paix et amitié. Une écologie
intégrale est aussi faite de simples gestes quotidiens par lesquels nous
rompons la logique de la violence, de l’exploitation, de l’égoïsme. ».
Mon invitation
6. La construction de la paix au moyen de la non-violence active
est un élément nécessaire et cohérent avec les efforts permanents de
l’Église pour limiter l’utilisation de la force par les normes morales,
par sa participation aux travaux des institutions internationales et
grâce à la contribution compétente de nombreux chrétiens à l’élaboration
de la législation à tous les niveaux. Jésus lui-même nous offre un
‘‘manuel’’ de cette stratégie de construction de la paix dans le
Discours sur la montagne. Les huit béatitudes (cf. Mt 5, 3-10) tracent
le profil de la personne que nous pouvons qualifier d’heureuse, de bonne
et d’authentique. Heureux les doux – dit Jésus –, les miséricordieux,
les artisans de paix, les cœurs purs, ceux qui ont faim et soif de
justice.
C’est aussi un programme et un défi pour les leaders politiques et
religieux, pour les responsables des institutions internationales et
pour les dirigeants des entreprises et des media du monde entier :
appliquer les Béatitudes dans leur manière d’exercer leurs
responsabilités propres. Un défi à construire la société, la communauté
ou l’entreprise dont ils sont responsables avec le style des artisans de
paix ; à faire preuve de miséricorde en refusant de rejeter les
personnes, d’endommager l’environnement et de vouloir vaincre à tout
prix. Cela demande la disponibilité « [à] supporter le conflit, [à] le
résoudre et [à] le transformer en un maillon d’un nouveau processus ».
Œuvrer de cette façon signifie choisir la solidarité comme style pour
écrire l’histoire et construire l’amitié sociale. La non-violence active
est une manière de montrer que l’unité est vraiment plus puissante et
plus féconde que le conflit. Tout dans le monde est intimement lié.
Certes, il peut arriver que les différences créent des frictions :
affrontons-les de manière constructive et non-violente, de façon que «
les tensions, et les oppositions [puissent] atteindre une unité
multiforme, unité qui engendre une nouvelle vie », en conservant « les
précieuses potentialités des polarités en opposition ».
J’assure que l’Église catholique accompagnera toute tentative de
construction de la paix, y compris par la non-violence active et
créative. Le 1er janvier 2017 naît le nouveau Dicastère pour le Service
du Développement humain intégral, qui aidera l’Église à promouvoir de
manière toujours plus efficace les « biens incommensurables de la
justice, de la paix et de la sauvegarde de la création » et de la
sollicitude envers les migrants, « les personnes dans le besoin, les
malades et les exclus, les personnes marginalisées et les victimes des
conflits armés et des catastrophes naturelles, les détenus, les chômeurs
et les victimes de toute forme d’esclavage et de torture ». Chaque
action dans cette direction, aussi modeste soit-elle, contribue à
construire un monde libéré de la violence, premier pas vers la justice
et la paix.
En conclusion
7. Conformément à la tradition, je signe ce Message le 8
décembre, fête de l’Immaculée Conception de la Bienheureuse Vierge
Marie. Marie est la Reine de la Paix. À la naissance de son Fils, les
anges glorifiaient Dieu et souhaitaient paix sur la terre aux hommes et
aux femmes de bonne volonté (cf. Lc 2, 14). Demandons à la Vierge
d’être notre guide.
« Tous nous désirons la paix ; beaucoup de personnes la construisent
chaque jour par de petits gestes ; nombreux sont ceux qui souffrent et
supportent patiemment les efforts de beaucoup de tentatives pour la
construire ». En 2017, engageons-nous, par la prière et par l’action, à
devenir des personnes qui ont banni de leur cœur, de leurs paroles et
de leurs gestes, la violence, et à construire des communautés
non-violentes, qui prennent soin de la maison commune. « Rien n’est
impossible si nous nous adressons à Dieu dans la prière. Tous nous
pouvons être des artisans de paix ».
Du Vatican, le 8 décembre 2016
Franciscus
Message pour la 50è Journée Mondiale de la Paix. Texte intégral
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