Homélie du 3ème Dimanche de Carême
Carmel de Saint-Maur — Père Maurice Boisson
Jésus est en
colère ! « C’est intéressant ! » me disait quelqu’un. « Ça me
rassure, moi qui me mets souvent en colère ! » Ce n’est pas une raison. Et
puis, il y a colère et colère : la colère pour des riens, pour des caprices,
par agacement, et la colère qui est l’expression de la souffrance, du réveil
des consciences devant l’inacceptable, ou réaction devant des atteintes à des
valeurs fondamentales.
En entrant dans
le temple, la maison de Dieu, voyant ce qui s’y passait - le trafic, les
animaux, le commerce -, Jésus est outré. « Que fait-on dans la maison de
mon Père, de Dieu ? » Il s’agit de
l’honneur et du respect de Dieu. Jésus veut faire respecter ce lieu visible de
la présence de Dieu, son Père, un lieu sacré, saint, de la rencontre avec Dieu.
Avec un fouet
de cordes, il chasse dehors animaux et trafiquants. Avec les marchands de
colombes, il est un peu plus doux : « Enlevez ça d’ici. Arrêtez de faire
de la maison de mon Père une maison de trafic. »
Ce mouvement de
mécontentement nous concerne aujourd’hui : il s’agit du respect de ce qui est
sacré, tout particulièrement de l’être humain : demeure de Dieu
Depuis
toujours, en chaque homme et femme, quelques soient leurs croyances ou leurs
non-croyances, il y a le sentiment qu’il y a en nous plus que nous-mêmes, de
l’autre que nous-mêmes, du sacré, du mystérieux. Nous chrétiens, nous osons le
nommer Dieu, une présence qui nous dépasse, Autre et proche, plus présent
à nous-mêmes que nous-mêmes.
Aujourd’hui, on
ne sait plus distinguer ce qui est sacré de ce qui ne l’est pas : le match de
foot est sacré, la série TV est sacrée, l’ouverture de la pêche aussi… Que ne
fait-on pas dire au mot sanctuaire, qui veut dire le lieu saint, le lieu sacré.
On veut sanctuariser l’école, le terrain de boules… Je lisais récemment qu’il
faudrait « sanctuariser le mois d’août »… Bien sûr, tout cela est
bien et bon de sécuriser, de protéger, de préserver. Sans parler des « grands
messes » qui sont devenues dans les médias tel rassemblement politique ou
tel spectacle… avec des officiants…
Qu’est-ce qui
est sacré ? Qu’est-ce qui ne l’est pas ? Y-a-t-il des valeurs qui valent ?
Quand tout se vaut, quand tout est sur le même plan, plus rien n’a de valeur !
L’expression, entendue tous les jours sur un ton de désolation, « Ah, mon bon Monsieur, on ne respecte
plus rien ! » est dans la même logique.
« Cessez
de faire de la maison de mon Père, de la Création, de l’humanité, de l’être
humain, de vous-mêmes du n’importe quoi ! » Quand on perd le sens du
sacré, des valeurs, on se dés-humanise. L’écrivain Julien Green dit que le plus
grand danger pour l’humanité est de perdre le goût de Dieu. En perdant le goût
de Dieu, on perd le goût de l’humain, on perd le goût du sacré, on n’a plus de
repères, tels qu’en donne la 1ère lecture. .
C’est un témoignage, une des responsabilités des chrétiens, un
service à la société, c’est en particulier une mission des communautés
religieuses, comme la vôtre, mes Soeurs, de développer et de donner ce goût de
Dieu, qui donne goût à l’essentiel , à l’humain et à ce qui le dépasse.
« De quel
droit fais-tu cela ? Qui es-tu pour agir ainsi ? » demande-t-on à Jésus.
« Détruisez ce sanctuaire. En trois jours, je le relèverai ! » Ils
n’ont pas compris. Saint Jean ajoute : « Mais lui parlait du sanctuaire
de son corps. » Le sanctuaire, le sacré dans le Christ est tout être
humain et en particulier le plus fragile. « Vous êtes le corps du Christ »
(1Co12,27). « Le sanctuaire de Dieu, ce qui est sacré, c’est vous »
dit Saint Paul (cf 1Co3, 17). Toute personne humaine est sacrée, tel qu’on le chante dans
un très bel hymne, mais ce n’est pas tout de le chanter. Elle est demeure de
Dieu. Elle est image de Dieu, même si parfois, l’image est loin du modèle, nous
le savons bien. Il n’empêche que nous le sommes, de fait. « Nous sommes
nés de Dieu » dit Saint Jean (1Jn5,19).
On entend bien
que cette intervention un peu musclée de Jésus dans la maison de son Père est
au coeur des débats actuels dans notre pays sur les questions fondamentales
touchant à la vie, à la mort, à la souffrance, au développement humain.
« Ne faites pas n’importe quoi de l’être humain et de l’humanité, maison
de mon Père ! » En ce Carême, on entend bien aussi, chacun
personnellement, cette parole de Jésus aux marchands de colombes :
« Enlevez ça d’ici ! » Enlevons de nous-mêmes ce qui empêche Dieu,
son Amour, sa Grâce, sa Bonté d’habiter chez
Lui, c’est-à-dire chez nous individuellement et chez nous ensemble.
« Libère
! » est le mot de la semaine. Oui, libère, fais de la place à l’Essentiel
!
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