Homélie
du 4ème dimanche de Carême Année C 2019
Carmel
de Saint Maur - Père Maurice BOISSON
Jos 5,9a.10-12 ;
2 Co 5.17-21 ; Lc 15,1-3.11-32
Ce
récit est un des plus émouvants de la Bible et des écrits de l’humanité. Il
rejoint le plus profond de l’être humain, de nous-mêmes : nos errances,
nos ruptures, nos retours, notre capacité d’être aimés et pardonnés, relevés,
pour repartir. Ce récit exprime le plus profond de l’être de Dieu : Amour,
miséricorde, accueil, pardon, dignité redonnée.
Pourquoi
donc Jésus raconte-t-il cette histoire avec tant de passion et d’émotion ?
Il est piqué au vif par les pharisiens et les scribes – ceux qui se croyaient
les meilleurs, sans péché ! Ils récriminent contre Jésus : « Il fait bon accueil aux pécheurs et il mange
avec eux». (Lc 15,2). En plus! Il n’est donc pas en règle avec la
Loi ! Jésus ne supporte pas cette accusation. C’est pour ça qu’il est là « envoyé par le Père pour guérir et sauver tous
les hommes ». Heureusement pour nous ! Il nous fait bon accueil
ce matin, à nous, pécheurs et il nous invite à sa table. En plus !
En
fait, ce récit est celui de notre propre histoire, de l’histoire de l’humanité.
On peut s’y reconnaître : dans le fils parti, qui revient, que le Père
attend, et à qui il ouvre ses bras et son cœur.
Dans
le fils resté à la maison, enfermé en lui-même, jaloux et sans pitié. Le plus
important et le plus difficile, est d’essayer de nous retrouver dans l’attitude
du père qui nous appelle à lui ressembler, à nous inspirer de son style, de son
attitude, de son cœur. Il espère en nous, nous accueille, nous redonne notre
dignité de fils. Cette manière d’être de Dieu, nous avons à la pratiquer avec
les autres. « Les vrais regards
d’amour sont ceux qui nous espèrent ! » (Père Baudiquey). Comme
le regard du Père, les yeux usés de guetter et de pleurer... toujours ouverts,
certains d’apercevoir à un moment, au bout de la route, la silhouette
chancelante du fils de retour. Le regard peut-être l’Espérance en acte, comme
il peut porter un coup destructeur. Pour le Père, le fils parti n’a jamais
cessé d’être son fils, même quand celui-ci lui dit : « J’ai péché. Je ne suis pas digne d’être
appelé ton fils ! » (Lc 15,19). Aussitôt, le Père l’arrête, il ne
le laisse plus parler. Il le serre sur son cœur. C’est lui, le Père, qui
pleurait le plus... Des explications ? Ses comptes ? Ce qui s’est
passé ? Des reproches ? Rien de tout ça. Le fils ainé se chargera
d’en rajouter, ricanant : « Ton
fils que voilà... Il a dévoré ton bien avec des filles ! » (Lc
15,30). « Faisons la fête », continue le Père, « ton frère que voilà, mon fils
comme toi, était mort et il est revenu à la vie » (Lc 15,32). En remettant
la bague, les sandales, un vêtement propre, au fils revenant, le Père le
rétablit dans sa dignité humaine malmenée et dans sa dignité de fils dans
laquelle il n’osait plus se reconnaître. Ce garçon croyait se retrouver devant
un juge, il se retrouve dans les bras aimants et dans la maison du Père.
La
force de l’amour et de la miséricorde est plus efficace que la violence de la
vengeance, pour « re-naître, re-partir »... En fait la part
d’héritage que le fils réclamait pour partir, n’était pas seulement et d’abord
un apport financier. Mais, ce qu’il croyait être sa liberté et son bonheur, à
un moment de misère intérieure, il a ressenti que la liberté était inséparable
de la dignité : qu’est-ce qu’une liberté, si elle ne lui permettait même
pas de manger ce que mangeaient les porcs qu’il gardait. Le frémissement de cet
héritage intérieur, un trésor qu’il était entrain de gâcher, le fait basculer
sur un chemin de retour : « Je
me lèverai, j’irai vers mon Père» (Lc 15,18).
Même
si on n’a pas fait les 400 coups, il peut nous arriver de prendre de la
distance, avec Dieu, avec les autres, avec ce trésor intérieur qu’est le
meilleur de nous-mêmes. Et puis, quelque chose, quelqu’un, un arrêt sur nous-mêmes
(comme une petite braise encore prête à s’enflammer) a rallumé notre conscience
et nous a mis sur la route du retour... Il ne s’agit pas de choses
extraordinaires, comme le cas de notre récit. Mais des petites choses
quotidiennes qui font la vie, notre vie à chacun, chacune, nos relations, nos
activités, notre relation à Dieu : nous sommes invités à nous rapprocher
des manières, du style de Dieu, le Père. C’est vrai qu’on peut toujours accuser
ce Père, de faiblesse, de manquer de fermeté, etc... La faiblesse, elle est
dans l’attitude du fils ainé, jaloux et méchant : « Tu n’en fais pas
autant pour moi qui suis un fils bien !... ». On peut se retrouver aussi en lui, l’ainé. A
son sujet, notre compatriote jurassien, l’abbé Henri Godin, fondateur de la
« Mission de Paris », écrit
dans « France, pays de mission »
(Je l’ai récemment cité aux sœurs, ici ) « Si les fils prodigues ne rentrent pas à la maison, ce n’est pas tant à
cause du Père dont ils reconnaissent la bonté, c’est à cause des frères ainés
qui n’ont jamais péché, qui sont des gens comme il faut et qui restent durs et
sans pitié. »
Cette
belle histoire de ce matin, ce n’est pas une histoire, c’est la réalité de nos
vies et de la vie. C’est un appel qui nous est adressé ce dimanche dans
nos relations à Dieu et aux autres, à nous-mêmes : rejoindre l’attitude du
fils qui revient et l’attitude du Père qui accueille et pardonne. « Pardonné » :
c’est le mot de notre 4ème semaine sur le chemin de Carême, écrit
sur le panneau de la chapelle du Carmel.
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