Carmel de Saint-Maur - Père Maurice Boisson
Lévites 13,1-2.46-46 ; Psaume 31 ; 1
Corinthiens 10,31-11,1 ; Marc 1,40-45
Aujourd’hui,
notre société, les événements, l’ambiance, nous poussent à nous protéger, à
nous mettre à l’abri des risques possibles, à prendre des précautions… un
principe omniprésent qui consiste à imaginer le pire pour le plus petit risque,
et donc à prendre des mesures exceptionnelles.
Il
est nécessaire bien sûr de se protéger, de ne pas risquer, - au risque d’un
autre danger : celui de renforcer nos tentations à nous replier sur
nous-mêmes, à nous isoler, à moins nous intéresser aux autres et à la vie
collective, à devenir indifférents, - alors que justement on a de plus en plus
besoin de se parler, de s’entraider, de se comprendre, de participer aux choix
de la société.
L’Evangile
de ce dimanche nous met en garde contre ces tentations de repli, du chacun pour
soi, de l’indifférence, si contraires à l’épanouissement humain et au désir de
Dieu.
Jésus
et le lépreux, dont il est question ici, auraient dû s’éviter pour se protéger.
Ni l’un ni l’autre n’avait le droit de faire ce qu’ils ont fait. La première
lecture rappelle, précisément, le principe de précaution au sujet du
lépreux : « Il se distinguera par ses habits, sa coupe de cheveux, il
criera : ‘ Je suis impur.’ Il habitera à l’écart » (cf. Lévites
13,45-46).
Le
malade était isolé, exclu de la vie sociale normale. Il devait se tenir à
distance et ne pas s’approcher des autres, pour éviter la contagion non
seulement de sa maladie physique, mais de son impureté religieuse, puisque la
maladie était considérée comme une punition de Dieu, ce qui rendait impur le
malade et celui qui l’approchait.
Ce
lépreux n’aurait jamais dû s’approcher de Jésus. « Un lépreux vint auprès de Jésus » - c’est la première
ligne (Marc 1,40). Dans le monde où nous vivons, il y a beaucoup de manières
d’être lépreux.
Si
le lépreux n’aurait jamais dû, selon la loi religieuse, s’approcher de Jésus,
Jésus n’aurait jamais dû, selon la loi religieuse, non seulement s’approcher du
lépreux, mais le toucher.
« Saisi de compassion, dit Marc (1,41), Jésus
étendit la main et le toucha. »
Jésus
touche l’intouchable et lui dit une parole de guérison qui le remet dans le
circuit de la vie, et, extérieurement, de l’amitié de Dieu. « Il est purifié » Marc 1,42).
Un
geste, une parole, jaillis de la compassion, de la tendresse, - qui font du
bien.
Il
a fallu franchir des barrières ; les deux, le lépreux et Jésus,
transgressent la Loi, ils suppriment la distance, pour le bien, pas pour
exclure à nouveau, ni rejeter, ni mépriser ou se moquer, mais pour un acte qui
réinsère dans la vie sociale, et dans l’amitié de Dieu.
Au
fond, Jésus aurait pu se contenter d’un petit clin d’œil en disant à cet
homme : « Je t’ai vu. », d’un petit mot ou d’un petit signe à
distance.
Jésus
a osé le geste audacieux qui donne crédibilité à la Parole de Dieu : « Les lépreux sont guéris, les sourds
entendent, les aveugles voient, les boiteux marchent » (Matthieu
11,5 ; Luc 7,22) – autant de signes du monde nouveau de Dieu, que Jésus
inaugure.
Il
ne s’agit pas seulement des fonctions physiologiques, mais de toute la personne
- du cœur – rétablie dans sa santé intérieure et sa vie avec les autres.
A
travers cette rencontre, c’est le vrai visage de Dieu qui nous est révélé et,
du coup, notre vrai visage.
On
ne peut pas prendre à la lettre ce geste de Jésus, ni se dispenser de
précautions, mais il y a tant de manières de se faire proche, d’accueillir,
d’aimer, d’aider, de respecter, de développer nos capacités à faire le bien, -
comme dans cet Evangile.
Ce
qui devient contagieux, c’est pas la lèpre, la peur, le rejet, l’isolement, le
repli, mais la bonté, le désir du bien, la charité qui passe au-dessus des
barrières.
« Si tu le veux, tu peux me
purifier » (Marc 1,40).
Pour
nous approcher, pour nous rejoindre et toucher nos fragilités, nos lèpres,
notre désir confiant de santé intérieure, Dieu n’a pas de précautions, ni de
protection, ni de règlement : son Amour et sa joie suffisent. C’est un don
qui nous rend donnant à notre tour de cette grâce et de cet Amour, pour nos
frères et sœurs, au quotidien.
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