Carmel de Saint-Maur - Père Maurice Boisson
Sagesse 7,7-11 ; Psaume 89 ; Hébreux
4,12-13 ; Marc 10,17-30
Cette
semaine, j’ai eu la visite d’un couple d’amis, que j’avais mariés – comme on
dit – il y a une douzaine d’années. Contents de se retrouver :
« Qu’est-ce que vous devenez ? Et toi ? La
retraite ? »
On
prend le temps de parler : « Ça va bien, me disent-ils : bonne
situation, deux enfants sans trop de problèmes ; on s’entend bien ;
la santé, pas de souci pour le moment ; on continue d’aller à la Messe, on
a même invité une fois Monsieur le Curé ! »
Au
bout d’un moment, Denis me dit : « Tu vois, c’est vrai que ça
va ; mais on sent qu’il nous manque quelque chose… on ne sait pas trop
quoi ! » Et Isabelle d’ajouter : « On a l’impression
de nous replier un peu sur notre petit confort, notre train-train, le petit
cercle d’amis… on risque de s’encroûter. Ce qu’on vit, c’est bien ; tout
ça ne nous suffit pas. Si on vient te voir, c’est pour en discuter avec
toi. »
-
« Très bien, allons-y ! » J’avais déjà regardé l’Evangile
d’aujourd’hui. Je me disais, sans leur dire : « On est en plein
dedans ! »
Beaucoup,
nous en sommes peut-être, nous faisons l’expérience de cet homme qui court vers
Jésus pour lui demander : « Qu’est-ce
qu’il faut que je fasse pour avoir la vie éternelle (Marc 10,17), pour
vivre pleinement ; je fais tout ce qu’il faut, j’observe la pratique… et
j’ai l’impression d’un manque ! »
On
sent bien cette recherche d’un plus, d’une qualité intérieure, d’être, d’un
sens ; c’est souvent difficile à formuler. C’est comme un désir profond,
intérieur, qui ne trouve pas la satisfaction dans les biens matériels, ni dans
le fait d’avoir tout ce qu’il faut.
Cet
homme, aux pieds de Jésus, apparemment avait tout pour être heureux. Il n’était
pas non plus malheureux ! Comme nos amis Denis et Isabelle.
« Il avait de grands biens », dit Saint Marc (10,22). Les choses peuvent
nous posséder, et les biens ne sont pas que matériels ou financiers : ce
sont la considération, la situation, les relations, le pouvoir, etc…
Malgré
tout cela, il y a en lui un manque, comme en chacun de nous. Nous sommes des
êtres de Désir - avec un grand D - que notre vie ici-bas ne comble pas
totalement. Quand on ne désire plus, quand on ne cherche pas un « plus »
(dit Saint Ignace), on est déjà mort, tout en étant vivant.
Jésus
est touché par la recherche et le désir de cet homme. « Il posa sur lui son regard, dit Marc (10,21), et il l’aima. »
Un
regard - non qui juge et paralyse, mais un regard qui aime, et donc qui appelle
à plus… « Tu as tout – une seule chose te manque : va, vends, et
viens avec moi ; tu auras un trésor » (cf. Marc 10,21).
Jésus
indique la route : « Va, vends, débarrasse-toi des encombrants qui
étouffent le désir intérieur. »
On
peut avoir des biens matériels et en être très détaché… et être très attaché,
encombré de soi-même, de son égoïsme, de son orgueil, de sa susceptibilité, de
sa vérité, de sa tranquillité, de sa méchanceté, de sa petite personne.
« Va,
désencombre-toi, pour suivre ma route, et tu approcheras ce que tu cherches et
qui te manque, pour vivre pleinement. »
A
ces mots, notre homme « devint
sombre et s’en alla tout triste », dit Marc (10,22) ; emportant
dans son cœur un regard d’amour qui s’est posé sur lui malgré sa faiblesse,
emportant dans sa vie un appel, pas un rejet. On ne connaît pas, d’ailleurs, ce
qu’il est devenu.
Jésus
lui-même reconnaît que c’est difficile de nous désencombrer, de nous séparer de
ce qui nous empêche d’avancer vers ce à quoi on est appelé – à être et à
devenir.
C’est
difficile ou impossible par nos seules forces, mais possible avec l’aide de
Dieu. Notre difficulté est la même que celle de cet homme : difficile de faire
passer l’invisible, ce à quoi nous aspirons au plus profond de notre être,
avant le visible, qu’on possède, qu’on tient, et qui nous tient.
Aussi,
notre prière nous est inspirée de la première lecture : « J’ai prié
et le discernement, l’esprit de sagesse, m’ont été donnés » (cf. Sagesse
7,7). C’est aussi la prière du Psaume : « Apprends-nous la vraie mesure de nos jours… » (Psaume
89,12)
Saint
Augustin a cherché, dans toutes les directions, à combler ce manque, cette
recherche du « plus ». Il a trouvé à l’intérieur de lui-même le
chemin qui y conduit : « Tu nous as faits pour toi, Seigneur, et
notre cœur est sans repos, tant qu’il ne demeure en toi. »
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