Carmel de Saint-Maur – Mgr Jacques Gaillot
Isaïe 53,10-11 ; Psaume 32 ; Hébreux
4,14-16 ; Marc 10,35-45
C’est une magnifique parole, pour nous, pour la semaine qui
vient : « Celui qui veut
devenir grand sera votre serviteur. »
Je me trouvais à la gare du Nord, à Paris, et, dans la foule
il y a un couple de retraités qui me saluent. Et lui me dit : « Je ne
sais pas si vous me reconnaissez, mais à l’époque j’étais le chauffeur du
préfet d’Evreux ; et vous avez eu envers moi un geste que je n’oublierai
jamais : vous m’avez salué avant le préfet. Je ne me souvenais pas… puis
tout d’un coup je me suis souvenu.
Effectivement, je devais rencontrer le préfet dans sa
résidence ; et alors j’arrive dans la cour intérieure, je vois le préfet
qui sort de sa résidence, vers moi ; qui vient. Il y avait la voiture du
préfet et le chauffeur debout près de la voiture. Alors je calcule un
peu : le chauffeur ne bouge pas mais le préfet va assez vite ; et je
me dis : « J’ai le temps d’aller au chauffeur pour le saluer. »
Alors je vais vers lui et je le salue. Puis le préfet arrive près de moi,
surpris mais poli.
Et donc voilà ce chauffeur qui ne peut pas oublier ce geste,
et qui s’est senti reconnu, comme quelqu’un quand même d’important, puisque je
le saluais avant le préfet.
Oui, reconnaître la dignité de ceux qui ont un travail
humble… Et alors, cet homme, à la gare du Nord, me dit : « En accord
avec ma famille, nous souhaitons beaucoup que ce soit vous qui
m’enterriez. »
Vous voyez : essayer d’être serviteur des autres, oui,
comme c’est important !
Je me trouvais à Ferney-Voltaire, c’est à côté de Genève, ça
touche Genève. J’avais été invité par un pasteur protestant, et un soir, chez
lui, dans sa grande salle à manger, il avait souhaité inviter des personnes de
Genève, des personnalités, une douzaine, pour que je les connaisse ; et
pour être tout-à-fait à ses hôtes de passage, il s’était adressé à un traiteur,
et il y avait un jeune marocain, en veste blanche, qui faisait le service. Si
votre verre se vidait : « Vous voulez bien le remplir ? »
Si une assiette n’avait plus rien, il présentait un plat. Et puis, l’heure
venue, les invités s’en vont, l’un après l’autre. Ils sont partis comme ça…
Alors j’étais stupéfait de voir qu’aucun de ces hôtes n’a eu un geste, une
parole, un regard pour ce jeune marocain qui les avait servis toute la soirée.
Et nous étions dans la même pièce. Ils sont partis comme ça…
Alors, scandalisé, je vais voir ce jeune homme et je lui
dis : « Personne ne t’a dit merci, personne ne t’a
salué ? » Il a dit non, il a dit : « J’en ai
l’habitude. » Il ajoute cette parole terrible : « Pour ces
gens-là, je n’existe pas. » « Pour ces gens-là, je n’existe
pas… »
« Que celui qui
veut être le premier parmi vous se fasse votre serviteur » (Marc
10,44).
Une autre fois j’étais invité à visiter une maison de handicapés,
adultes. Alors je vais voir cette maison, éloignée de la ville - grande maison.
Il y a un infirmier, sympathique. Il me fait visiter toutes les salles. Je
m’arrête pour dire un mot à chacun ; et en voyant ces visages défaits, ces
corps vraiment décharnés, j’étais troublé ; et l’infirmier s’est aperçu de
mon trouble ; il a eu ces paroles – il m’a dit : « Moi, je les
aime tellement que je les trouve beaux. » - « Je les aime tellement
que je les trouve beaux… » Et c’est vrai que quand on aime quelqu’un, on
le trouve beau. Le visage aimant rend l’autre beau. Regardez les parents qui
regardent leur jeune enfant : ils aiment tellement leur enfant que leur
enfant est le plus beau du monde, ça ne peut pas être autrement.
Eh bien, je ne voyais pas comme l’infirmier ; j’étais
troublé en voyant ces corps, défaits. Et pour être serviteur, des pauvres, des
malades, des handicapés, il faut avoir l’amour dans son cœur pour pouvoir les
rejoindre, avoir la miséricorde de Dieu pour pouvoir exprimer notre compassion,
les rencontrer là où ils sont et les aimer.
« Que celui qui
veut devenir grand se fasse serviteur des autres… »
Encore un petit fait qui m’avait beaucoup marqué :
j’étais invité à Lille parce qu’il y avait des sans-papiers qui s’étaient mis
en grève de la faim et ils en étaient à leur quarantième jour. Il y en avait un
qui était hospitalisé ; et donc ils étaient devant l’Eglise Saint Maurice,
c’est pas loin de la gare, sur le parvis, une grande tente, et ils étaient
quarante. Alors, en arrivant, je commençais par aller les voir, dans cette
grande tente. C’était au mois de novembre ; il faisait froid. Quel spectacle
de les voir les uns à côté des autres, tous allongés, voyant à peine leurs
visages. Alors, pour être un petit peu plus proche d’eux et à la même hauteur,
je m’agenouillais devant chacun, leur prenant la main, leur parlant ; et
ils avaient encore un peu la force de sourire et de me parler. Et donc j’ai vu
les quarante comme ça ; c’était vraiment le lavement des pieds.
Et puis il y avait un rassemblement sur la grande place et
je devais prendre la parole ; alors je leur ai dit : « Vous
savez, quand j’étais jeune, j’ai appris à m’agenouiller devant Dieu ; et
je le faisais assez facilement. Maintenant que je prends des années, j’apprends
à m’agenouiller devant un homme malade, devant un homme blessé, devant un homme
rejeté. » Et je leur dis : « C’est plus difficile de
s’agenouiller devant l’homme que de s’agenouiller devant Dieu. » Ils ont
compris ; pas facile de s’agenouiller devant celui qui est pauvre, qui est
exclu, qui n’est pas reconnu.
Eh bien, c’est ça, être serviteur, comme l’a été Jésus.
Alors c’est la journée des missions, et si nous voulons être
missionnaires, c’est cette attitude qu’il faut avoir. Etre missionnaire d’abord
dans la famille. Etre missionnaire dans la famille. Dans la famille il n’y a
pas beaucoup de croyants, en général, mais il y en a quelquefois un, quand
même. Il a cette responsabilité.
Je disais ça aux Sœurs cette semaine - c’est que quand je
vais visiter des jeunes au catéchisme, je leur dis toujours :
« Est-ce que vous avez vu vos parents prier ? » Et ils me disent
toujours : « Non. » Jamais les enfants que j’ai interrogés,
pendant des années, n’ont dit avoir vu leurs parents prier. Moi, j’ai appris à
prier dans ma famille, par mes parents. Ça m’a marqué, d’avoir vu mes parents
en prière, c’était ma première image de l’Eglise – l’Eglise en prière.
Je pense aussi que nous avons, à certaines occasions, à dire
notre foi, à partager notre foi. Une foi adulte, c’est une foi qui se partage.
Ça suppose qu’on ne pense pas que la foi est une affaire privée, qui ne regarde
que nous. Il m’est arrivé d’interroger des parents : « Est-ce que
vous avez déjà partagé votre foi ? » Ils m’ont dit :
« Non. »
Un soir, je mangeais chez des gens, dans le rural, c’étaient
des militants du C.M.R. « Chrétiens dans le monde rural ». Alors les
enfants ont été couchés. Quand les enfants savent qu’il y a un invité à la
maison… c’est curieux, les enfants. Toutes les cinq minutes ils revenaient en
bas pour quelque chose qui manquait, pour voir ce qui se passait. Et alors à la
fin, je dis aux gens : « Ecoutez, après cette belle soirée de
partage, on va prier ensemble. Peut-être que vous avez un Evangile, une Bible. »
Alors je voyais que la situation était un peu périlleuse ; et dans ce
cas-là le mari se tourne vers sa femme pour palier à la situation. La femme se
lève, va devant une petite bibliothèque où visiblement il y avait la Bible,
l’Evangile. Alors il ne faut pas encombrer les gens trop longtemps ; je
leur dis : « Eh bien, écoutez, on va prier sans la Bible, sans
l’Evangile. » Je leur ai dit quand même : « C’est bien que dans
une maison, une famille il y ait l’Evangile, surtout l’Evangile, et qu’on
l’ouvre de temps en temps. »
Et puis, il me semble que dans les familles, lieu de
mission, on besoin de se laisser
évangéliser par les enfants, par des jeunes.
Il n’y a pas très longtemps, j’ai été amené à faire un
baptême d’une petite fille qui avait neuf ans, qui s’appelle Laura. Le père,
lui, il est carrément athée. Les religions, ça ne doit pas entrer dans la
maison. Et donc, comme sa fille disait : « Je voudrais bien être
baptisée » - « Ah non, on ne va pas faire un baptême dans la famille,
non ! » La maman était très à ouverte ; elle a dit :
« Si ça lui fait plaisir, pourquoi pas. Ça ferait une belle fête dans la
famille.
Cette fille de neuf ans, elle avait de la personnalité, elle
avait de la persévérance ; elle a dit à son père : « Tu dis
toujours que tu m’aimes bien, mais quand je te demande quelque chose, tu
n’acceptes pas. » Ça a chagriné le père ; mais enfin, il
disait : « Non, on ne baptise pas dans la famille. »
La fille l’a poursuivi en disant : « Eh bien,
puisque tu ne veux pas que je sois baptisée, je sais maintenant que tu ne
m’aimes pas vraiment. » Ça, c’en était trop ! Il ne pouvait pas
supporter ça : que sa fille à lui… Alors il a accepté, il a accepté que sa
fille soit baptisée.
Je lui ai dit : « Ecoutez, il faut qu’au début de
la cérémonie - vous avez votre famille, on sait qui vous êtes : vous vous
affichez comme athée - bon, bien, dites pourquoi vous acceptez que votre fille
soit baptisée. Il faut prendre la parole ; moi, je ne prends pas la parole
si vous ne la prenez pas ! »
Cet homme qui est fort, il avait là trente-cinq ans, il
avait préparé un petit papier, et il était tellement ému qu’il n’arrivait pas à
lire ; alors il a dit ceci d’une petite voix, il a dit :
« J’aime tellement ma fille – il avait des larmes dans les yeux – j’aime
tellement ma fille que je ne pouvais pas refuser le baptême. Et je veux lui
prouver aujourd’hui que je l’aime suffisamment pour qu’elle soit
baptisée. » Voilà, les gens écoutaient. Et cet homme a été très marqué par
cette célébration, grâce à sa fille.
Alors, c’est la journée missionnaire, soyez missionnaires en
famille, laissez-vous évangéliser par les enfants, et demandons au Seigneur
cette grâce d’être serviteurs des autres
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