Homélie du 26ème ordinaire C
Carmel de Saint-Maur – P. Maurice Boisson
Un Monsieur que
je connais bien m’accoste en ville : « Mardi dernier, vous êtes passé à
côté
de moi sans me regarder !» « Ah bon ?! Excusez-moi, je ne me souviens
pas vous avoir croisé, je devais avoir la tête ailleurs! » Cela s’est bien
terminé. De fait, j’ai dû passer à côté de ce Monsieur sans le voir vraiment,
alors qu’il aurait été content, m’a-t-il dit, de causer un peu. Il avait
quelques soucis.
Faire attention
à l’autre, aux autres, à celui, celle qui a besoin, discrètement, ne serait-ce
qu’un regard, une parole, un sourire, une main qui se tend et qui peut-être
s’ouvre. C’est l’appel de la Parole de Dieu de ce dimanche.
Il était une
fois ! raconte Jésus, c’est l’histoire de 2 hommes : L’un, riche, qu’il ne
nomme pas, mais qu’il décrit par sa richesse, ses beaux vêtements et ses grands
repas somptueux. L’autre, un pauvre, il a un nom : Lazare, qui veut dire
« Dieu aide ». Il est malade, il n’a rien à manger, il est allongé
devant le portail de la maison du riche. Un grand fossé les sépare déjà. Un
fossé qui deviendra un abîme infranchissable à leur mort.
Ces deux hommes
meurent. Retournement de situation, ce retournement est sans appel. «Tu as reçu
le bonheur pendant ta vie, Lazare le malheur. Maintenant, lui, il trouve ici la
consolation, et toi, la souffrance.» «Un abîme vous sépare». Pourquoi ? Le Dieu
de miséricorde et de pardon était-il en congé ce jour-là ? Condamnerait-il ceux
qui sont riches ? Non, ni l’un, ni l’autre. Ce n’est pas le fait d’être riche
qui a perdu cet homme riche; il n’est pas méchant, ce n’est pas un mauvais
monsieur, il ne chasse pas Lazare de devant son portail. Il n’appelle pas la
police ou les gendarmes pour le faire partir… Cet homme est tout simplement
dans son monde, dans son bien-être, dans sa bulle, la tête en lui-même. Il n’a
pas vu Lazare à sa porte, tout près, qui aurait été content de grignoter
quelques bons restes des repas somptueux, même pas ! Ce sont les chiens qui ont
vu Lazare, ils venaient lécher ses plaies… pour le soulager.
Ce qui a perdu
le riche, c’est son indifférence à l’autre. L’indifférence crée des fossés qui
séparent et deviennent peu à peu des abîmes infranchissables jusqu’après la
mort parce que progressivement, les yeux se ferment à l’autre, aux autres, les
oreilles se bouchent à leurs appels, les mains se referment sur nos propres
richesses, pas seulement matérielles, les coeurs ainsi se nécrosent. On peut
être riche et avoir le coeur, les yeux, les mains ouvertes. On peut avoir peu
et se fermer aussi. Il s’agit d’une capacité intérieure à combattre
l’indifférence, quelles que soient nos situations. En racontant cette histoire,
Jésus nous met en garde contre l’indifférence. Être indifférent : rester de
marbre, blinder nos coeurs, fermer nos yeux, boucher nos oreilles, fermer nos
mains… à part nous, qu’y a-t-il d’intéressant et de préoccupant ?!
L’indifférence, « cette grande maladie de notre époque » a dit le
Pape François à la rencontre d’Assise cette semaine : « L’indifférence est
un virus qui paralyse, qui rend inertes et insensibles, qui provoque un nouveau
paganisme extrêmement triste : le paganisme de l’indifférence ». C’est ce
que dénonce sans langue de bois - ou de buis, le prophète Amos dans la première
lecture : « Malheur à ceux qui vivent bien tranquilles (…) et se
croient en sécurité (…) vautrés sur leurs divans! » et qui ne se
tourmentent guère du malheur des autres.
«La bande des vautrés n’existera plus.» On n’oserait plus parler comme
cela aujourd’hui !
Cela veut dire que la suite de notre vie, de notre avenir en
Dieu dépend de nos choix ici-bas. Ils engagent notre destinée finale.
« Empare-toi de la vie éternelle » dit la deuxième lecture,
« c’est à elle que tu as été appelé ». C’est à toi de la prendre, de
t’en emparer par la façon dont tu vis aujourd’hui. « J’avais faim et vous
m’avez donné à manger » (Mt 25, 35)… C’est à moi que tu l’as fait, ou pas
fait, alors viens ou reste dehors ! C’est le jugement décisif.
Le riche de
notre histoire s’est fait lui-même son sort en restant indifférent à la situation
de Lazare. C’est Dieu qui a pris soin de Lazare (qui porte bien son nom :
« Dieu aide »). Dieu lui donne la consolation, et le bonheur, tout
simplement parce qu’il est vraiment pauvre, non seulement de biens matériels,
mais d’attention, de regards aimants, de paroles qui font du bien et aussi des
restes de la table du riche.
« L’autre
jour, vous m’avez croisé et vous ne m’avez même pas regardé ! »
« C’est vrai, je ne vous ai pas vu, j’étais dans ma bulle ! » Il
était une fois un homme riche et un pauvre nommé Lazare, « Dieu
aide » : c’est aujourd’hui !
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