jeudi 12 mai 2016

Homélie de la 1e Profession de Sœur Minaire de l’Eucharistie

Homélie de la 1e Profession de Sœur Minaire de l’Eucharistie
Carmel de Saint-Maur – P. Didier Joseph, ocd
11 mai 2016

Textes : 1 Jn 4, 7-16 ; Ps 102 ; Jn 15, 9-17

Ma petite sœur, frères et sœurs,

J’ai scruté les textes choisis par sœur Minaire de l’Eucharistie pour le jour de sa profession temporaire. Lisant et relisant ces lignes du N.T., très vite une idée s’est forgée en moi : ces pages sont habitées par un mot : amour, un verbe : aimer. Sur les neuf versets de la 1e épître de saint Jean, dix-sept fois, le mot et le verbe aimer sont notés, et dans l’Évangile de Jean, en huit versets, le disciple de Jésus utilise ce même mot ou verbe dix fois.

Je me suis souvenu d’un de mes profs de français qui entourait en rouge les répétitions possibles des rédactions ou dissertations de ses élèves. Il nous demandait lors de trouver des synonymes. Alors ? Ces deux textes auraient-ils connu le badigeon du rouge marquant la réprobation et pressant son auteur à vite corriger son manque de rigueur illustré par les répétitions? Je ne le pense pas. Si l’utilisation abusive du mot aimer/amour est possible, ce n’est pas par faiblesse du style. D’une expression un peu cavalière, je dirai que l’auteur « enfonce le clou » afin que les lecteurs éventuels ne s’égarent pas, mais découvrent le cœur du texte à sa périphérie. Et nous pouvons entendre ce que notre Père Jean de la Croix écrivait : « Au soir de la vie, nous serons jugés sur l’amour »… Il vaudrait mieux lire évaluer/peser… sur la qualité et la manifestation de l’Amour au cours de notre vie, tel un roc sur lequel nous pouvons construire : ni le vent ni la pluie ne pourront détruire la construction fondée sur un tel socle.

Mais nous savons bien que cette entreprise d’aimer n’a pas de limites, des dates de fraîcheur à respecter, de modération. Aimer est un combat à vie qui exige une mise en place permanente, un effort continu qui ne supporterait aucun relâchement.

A travers le choix de ces textes, Minaire, tu veux exprimer que la vie religieuse est aussi un laboratoire de l’amour où avec d’autres compagnes non choisies mais reçues –tu veux exprimer l’amour de Dieu, et te laissant aimer par Dieu, tu fais le choix de développer cet amour envers tes sœurs, et plus largement en prenant ta place dans le cortège de celles et ceux qui aujourd’hui, comme toi et avec toi, veulent jardiner le mot amour. Non comme un choix optionnel, mais parce qu’il est d’abord et surtout l’identité de Dieu, l’essence de ce qu’il est, que son fils Jésus est venu illustrer par cette vie humaine, lui Fils de Dieu et fils des hommes par Marie, sa Mère.

Car au cœur de toute recherche sur Dieu, de toute étude ou débat, nous sommes contraints de passer par cette affirmation incontournable : Dieu est amour. Quel que soit le chemin pris pour approcher le mystère de Dieu, tôt ou tard, nous devrons développer le cœur de ce qu’est Dieu, c’est-à-dire son Amour. Rien, ni personne, ne pourra nous détourner de cette vérité. On pourra brocarder Dieu, lui mettre des oripeaux pour altérer son mystère, mais tôt ou tard l’évidence se fera jour : Dieu se présente à nous sous les traits de son Fils jésus qui n’aura de cesse de développer ce mot amour, ce verbe aimer.

Alors voilà ce qu’est d’abord la vie religieuse : une école pour apprendre à aimer. Nous ne sommes pas les seuls. D’autres ont choisi des itinéraires différents, mais tous-que ce soit à travers la vie consacrée, le mariage, le célibat, s’efforcent d’illustrer –avec leurs couleurs personnelles, l’amour.

Préparant des jeunes qui veulent se marier au Centre spi, je prends toujours le temps de leur expliquer que mon choix d’être carme aujourd’hui n’est pas la conséquence d’un échec sentimental, que je ne souhaite pas être un bois sec, un « vieux garçon » aigri par la vie et le bonheur des autres, mais un amoureux qui aime la vie : « Je suis venu, dit Jésus, pour qu’ils aient la vie (Jn 10, 10) », et qui trouve en Dieu une source de vie, d’amour et de miséricorde –le nom de Dieu comme dirait le Pape François.

Par la vie religieuse, nous voulons être de la race des chercheurs de Dieu, des aimants. Toujours à la suite du Christ, à la manière de sainte Thérèse de Jésus, saint François, saint Dominique ou saint Ignace et de tant d’autres… nous acceptons de nous laisser aimer avec nos blessures, nos pauvretés… nous laissons Dieu faire sa demeure en nous. Alors nous nous efforçons de traduire cette vie de Dieu en nous par un vivre avec, une solidarité qui se veut de tous les instants, une espérance qui va au-delà de l’image dans un souci permanent de commencer et de recommencer chaque jour, qu’il y ait soleil ou pluie ou vent, Dieu continue d’insuffler dans nos narines cette effusion de son amour (Cf. Gn).

Aujourd’hui, Sœur Minaire de l’Eucharistie, tu veux exprimer qu’avec les moyens offerts par la vie religieuse-pauvreté/ chasteté/ obéissance- tu poursuis l’aventure d’aimer, de te laisser aimer. Tu n’es pas une femme idéalisée qui aurait fait l’expérience que tout va bien et va s’engager d’abord pour quelques années. Mais une enfant de Dieu qui, mesurant ses faiblesses et sa pauvreté, accepte de se laisser façonner jour après jour pour permettre à Dieu de demeurer en toi, et d’agir par toi. Et l’ayant accueilli, ose espérer et accepter de laisser cet amour la travailler. Nous ne sommes pas dans l’espace d’une conclusion : « puisque tout va bien je m’engage… », mais dans une aventure.

Que cet aujourd’hui d’une parole offerte en toute liberté te donne de connaître que Dieu te demandera d’aller toujours plus loin, de dépasser tes limites et des freins, de développer tes dons et charismes par une acceptation quotidienne que demain est là avec toutes ses promesses, mais aujourd’hui s’offre à toi comme lieu de rencontre avec Dieu et tes sœurs, avec les hommes et femmes de ce monde.

Laisse Dieu être Dieu en toi, accepte d’être cette terre d’argile qu’il vient façonner. Aimer, c’est croire que l’imperfection du jour sera demain terre d’espérance et de renouvellement.

Alors Minaire, notre sœur aimée de Dieu, merci pour ta parole d’amour. Sois confiante. Dieu t’aime et sera avec toi tous les jours, témoin de ton combat pour aimer en vérité.

Ta parole d’aujourd’hui réveille nos paroles d’hier.

Par toi, Dieu nous visite chacune et chacun.

Qu’il soit béni à jamais de ne pas permettre que le verbe aimer, que ce mot amour prennent des rides. Par ton engagement temporaire, Dieu nous fait signe, laissons-le renouveler nos vies.

 

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