Carmel de Saint-Maur – P. Didier Joseph, ocd
11 mai 2016
Textes : 1 Jn 4, 7-16 ; Ps 102 ; Jn 15, 9-17
Ma petite sœur, frères
et sœurs,
J’ai scruté les textes
choisis par sœur Minaire de l’Eucharistie pour le jour de sa profession
temporaire. Lisant et relisant ces lignes du N.T., très vite une idée s’est
forgée en moi : ces pages sont habitées par un mot : amour, un
verbe : aimer. Sur les neuf versets de la 1e épître de saint
Jean, dix-sept fois, le mot et le verbe aimer sont notés, et dans l’Évangile de
Jean, en huit versets, le disciple de Jésus utilise ce même mot ou verbe dix
fois.
Je me suis souvenu d’un
de mes profs de français qui entourait en rouge les répétitions possibles des
rédactions ou dissertations de ses élèves. Il nous demandait lors de trouver
des synonymes. Alors ? Ces deux textes auraient-ils connu le badigeon du
rouge marquant la réprobation et pressant son auteur à vite corriger son manque
de rigueur illustré par les répétitions? Je ne le pense pas. Si
l’utilisation abusive du mot aimer/amour est possible, ce n’est pas par
faiblesse du style. D’une expression un peu cavalière, je dirai que l’auteur
« enfonce le clou » afin que les lecteurs éventuels ne s’égarent pas,
mais découvrent le cœur du texte à sa périphérie. Et nous pouvons entendre ce
que notre Père Jean de la Croix écrivait : « Au soir de la vie, nous
serons jugés sur l’amour »… Il vaudrait mieux lire évaluer/peser… sur
la qualité et la manifestation de l’Amour au cours de notre vie, tel un roc sur
lequel nous pouvons construire : ni le vent ni la pluie ne pourront
détruire la construction fondée sur un tel socle.
Mais nous savons bien
que cette entreprise d’aimer n’a pas de limites, des dates de fraîcheur à
respecter, de modération. Aimer est un combat à vie qui exige une mise en place
permanente, un effort continu qui ne supporterait aucun relâchement.
A travers le choix de
ces textes, Minaire, tu veux exprimer que la vie religieuse est aussi un
laboratoire de l’amour où avec d’autres compagnes non choisies mais reçues –tu
veux exprimer l’amour de Dieu, et te laissant aimer par Dieu, tu fais le choix
de développer cet amour envers tes sœurs, et plus largement en prenant ta place
dans le cortège de celles et ceux qui aujourd’hui, comme toi et avec toi,
veulent jardiner le mot amour. Non comme un choix optionnel, mais parce qu’il
est d’abord et surtout l’identité de Dieu, l’essence de ce qu’il est, que son
fils Jésus est venu illustrer par cette vie humaine, lui Fils de Dieu et fils
des hommes par Marie, sa Mère.
Car au cœur de toute
recherche sur Dieu, de toute étude ou débat, nous sommes contraints de passer
par cette affirmation incontournable : Dieu est amour. Quel que soit le
chemin pris pour approcher le mystère de Dieu, tôt ou tard, nous devrons
développer le cœur de ce qu’est Dieu, c’est-à-dire son Amour. Rien, ni
personne, ne pourra nous détourner de cette vérité. On pourra brocarder Dieu,
lui mettre des oripeaux pour altérer son mystère, mais tôt ou tard l’évidence
se fera jour : Dieu se présente à nous sous les traits de son Fils jésus
qui n’aura de cesse de développer ce mot amour, ce verbe aimer.
Alors voilà ce qu’est
d’abord la vie religieuse : une école pour apprendre à aimer. Nous ne
sommes pas les seuls. D’autres ont choisi des itinéraires différents, mais
tous-que ce soit à travers la vie consacrée, le mariage, le célibat,
s’efforcent d’illustrer –avec leurs couleurs personnelles, l’amour.
Préparant des jeunes qui
veulent se marier au Centre spi, je prends toujours le temps de leur expliquer
que mon choix d’être carme aujourd’hui n’est pas la conséquence d’un échec
sentimental, que je ne souhaite pas être un bois sec, un « vieux garçon »
aigri par la vie et le bonheur des autres, mais un amoureux qui aime la
vie : « Je suis venu, dit Jésus, pour qu’ils aient la vie (Jn 10,
10) », et qui trouve en Dieu une source de vie, d’amour et de miséricorde
–le nom de Dieu comme dirait le Pape François.
Par la vie religieuse,
nous voulons être de la race des chercheurs de Dieu, des aimants. Toujours à la
suite du Christ, à la manière de sainte Thérèse de Jésus, saint François, saint
Dominique ou saint Ignace et de tant d’autres… nous acceptons de nous laisser
aimer avec nos blessures, nos pauvretés… nous laissons Dieu faire sa demeure en
nous. Alors nous nous efforçons de traduire cette vie de Dieu en nous par un
vivre avec, une solidarité qui se veut de tous les instants, une espérance qui
va au-delà de l’image dans un souci permanent de commencer et de recommencer
chaque jour, qu’il y ait soleil ou pluie ou vent, Dieu continue d’insuffler dans
nos narines cette effusion de son amour (Cf. Gn).
Aujourd’hui, Sœur
Minaire de l’Eucharistie, tu veux exprimer qu’avec les moyens offerts par la
vie religieuse-pauvreté/ chasteté/ obéissance- tu poursuis l’aventure d’aimer,
de te laisser aimer. Tu n’es pas une femme idéalisée qui aurait fait
l’expérience que tout va bien et va s’engager d’abord pour quelques années.
Mais une enfant de Dieu qui, mesurant ses faiblesses et sa pauvreté, accepte de
se laisser façonner jour après jour pour permettre à Dieu de demeurer en toi, et
d’agir par toi. Et l’ayant accueilli, ose espérer et accepter de laisser cet
amour la travailler. Nous ne sommes pas dans l’espace d’une conclusion :
« puisque tout va bien je m’engage… », mais dans une aventure.
Que cet aujourd’hui
d’une parole offerte en toute liberté te donne de connaître que Dieu te
demandera d’aller toujours plus loin, de dépasser tes limites et des freins, de
développer tes dons et charismes par une acceptation quotidienne que demain est
là avec toutes ses promesses, mais aujourd’hui s’offre à toi comme lieu de
rencontre avec Dieu et tes sœurs, avec les hommes et femmes de ce monde.
Laisse Dieu être Dieu en
toi, accepte d’être cette terre d’argile qu’il vient façonner. Aimer, c’est
croire que l’imperfection du jour sera demain terre d’espérance et de
renouvellement.
Alors Minaire, notre
sœur aimée de Dieu, merci pour ta parole d’amour. Sois confiante. Dieu t’aime et
sera avec toi tous les jours, témoin de ton combat pour aimer en vérité.
Ta parole d’aujourd’hui
réveille nos paroles d’hier.
Par toi, Dieu nous
visite chacune et chacun.
Qu’il soit béni à jamais
de ne pas permettre que le verbe aimer, que ce mot amour prennent des rides.
Par ton engagement temporaire, Dieu nous fait signe, laissons-le renouveler nos
vies.
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